Ces mots qui ne veulent (plus) rien dire (Bobo, islamophobe, fasciste et autres conneries)

Vous avez déjà essayé de parler avec un ado révolté ?
Le faire réfléchir sur le monde qui l’entoure ?
Et qu’il ne veuille pas écouter vos arguments ?

Alors vous vous êtes déjà certainement retrouvé confronté à une irrépressible envie de le traiter de demeuré ou de con.
Peut-être même l’avez-vous fait.

Et vous vous êtes pris en retour la réponse que vous méritez :

« Ben oui, c’est ça, je suis con, voilà »

Débat clos, conversation terminée, possibilité d’échanger de manière intelligente complètement envolée.

Et vous vous êtes retrouvé à fulminer, en vous disant que si la conversation s’était terminée, c’était de la faute de l’ado en question. Il n’est pas forcément con, vous le savez, vous vouliez juste le faire réfléchir, vous vous êtes énervé, c’est tout !

Je vais vous approuver sur un point : il n’est pas con.
Mais vous, je vais pas vous faire plaisir : vous l’êtes.

Naaaaaan, me tapez pas ! Lisez d’abord ce texte jusqu’au bout !

Pourquoi aurait-il répondu le contraire ? Hein ? Sérieusement ?
Vous lui assénez un truc, assez définitif, insultant même, et vous voudriez qu’il continue calmement la conversation ? Genre comme si de rien n’était ? En écoutant vos arguments ? Mais « con » n’est en rien un argument ! A la minute, la seconde même, où vous avez prononcé ce mot vous avez rendu totalement impossible toute forme de débat. Vous avez claqué à la tronche de votre interlocuteur tout ce qu’il pouvait rester de portes ouvertes.

BAM.

Le dialogue est complètement (voire définitivement) rompu.
Vous mettez la personne en face de vous dans une petite case, vous l’y enfermez à double tour, vous la bâillonnez au ruban Scotch renforcé, même.
Et après vous vous étonnez qu’elle ne vous cause plus.
Ha oui, étonnant, oui.

Ce que je viens de vous décrire existe pour l’instant partout, tout le temps et SURTOUT sur les réseaux sociaux.

Les gens essayent d’échanger, de partager des idées (siiiii, j’vous jure, ça arrive) et il y a toujours un gros malin/une grosse maligne qui débarque et qui assène, au choix et sans nuance :

– bobo
– gauchiste
– islamophobe
– bien-pensant
– fasciste
– bisounours
– con, connard, débile… *insérez ici toute autre insulte qui figurerait, ou pas d’ailleurs, au dictionnaire de la langue française*
-… (liste non exhaustive, n’hésitez pas à m’en balancer, je les rajouterai)

N’en jetez plus, les jeux sont faits !

On peut même voir apparaître des mots composés, tel que le très joli bobo-islamo-gauchiste. Un must.
(par contre, on croise rarement un composé du genre bisounourso-fasciste qui sonnerait pourtant pas mal ou un islamophobo-bobo, qui serait assez percutant… Dommage…)

Ce qui est marrant, on en conviendra, c’est que :
1) à force de répéter ces mots à l’infini, en fait ils ne veulent plus rien dire.
2) la majorité du temps, les gens (ceux qui prononcent ces mots et ceux qui les reçoivent comme insulte) n’en connaissent absolument pas le sens (ce qui tombe plutôt pas mal puisque, de toute façon, il n’en ont plus, de sens, cf mon point 1, tout le monde suit ?)

Mais alors, pourquoi les sort-on, ces mots ?

Ben comme dans la conversation plus haut avec l’ado : pour provoquer, parce qu’on s’énerve ou encore parce qu’on aime mettre les gens dans des petites cases, c’est chouette, les petites cases, c’est pratique, tout est bien rangé. Et si on ajoute un peu de Scotch, le tour est joué, on est définitivement tranquille ! Ca permet de ne plus réfléchir, OUF.

Mais en attendant, on n’a rien ajouté d’intelligent. On a même plutôt ajouté un peu de connerie à la connerie grandissante de ce monde. On est fort probablement tranquille, mais on n’a rien appris et il y a de grandes chances qu’on ait renforcé la personne qui nous fait face dans ses convictions.
Vous l’avez traitée de fasciste ? Très bien, parfait, elle est fasciste. Et elle vous emmerde.
Vous l’avez traitée d’islamo-bobo-gauchiste ? Magnifique, elle est islamo-bobo-gauchiste. Et elle vous conchie.

La discussion est arrêtée, chacun retourne à ses affaires et on va continuer à ne pas se causer, à ne pas écouter l’autre, à ne pas comprendre nos peurs respectives.
Et on s’étonnera qu’on en vienne à se taper sur la gueule.

Cela se passe tous les jours sur les réseaux sociaux (croyez-moi, j’y bosse, je ne vois que ça) et malgré l’énorme chance que nous avons de pouvoir nous y parler, nous nous entêtons à nous insulter et à sortir des jugements à-la-con et définitifs.

Faites-vous une promesse : dans les prochains jours, si vous devez débattre, ne sortez aucun de ces mots.
Développez vos propres idées, avec vos propres mots (polis, on a dit !), pas des mots vides de sens, pas des mots prêt-à-porter.

Laissez une chance à votre cerveau de créer ses propres idées.

Et donnez une chance aux autres de comprendre, vraiment, ce que vous avez dans le ventre, dans les tripes, dans le cœur.

Pour finir à quoi ça sert de causer, si c’est pour ne rien dire et, en plus, ne pas être compris ?