Calendrier de l’avent : Jour 6, que penserait votre moi de 15 ans de vous maintenant ?

(Cet article fait partie de la série « Calendrier de l’Avent », pour retrouver les explications et l’article du Jour 1, c’est par ici)

Ooooooooh, la jolie question existentielle que voilà !
Wé, je sais, on est un mardi de décembre, il fait noir et froid et, sincèrement, vous auriez préféré que je cause de plage plutôt que d’un truc existentiel qui ressemble vaguement à un bilan de vie sans vraiment vouloir en avoir l’air.

C’est vrai.

Mais ça fait plusieurs années que cette question me tracasse. Alors on va tenter d’y répondre encore aujourd’hui.

Notez, je suis plutôt contente qu’elle me tracasse cette question, m’imaginer devant l’ado pénible et à l’énergie d’un paresseux neurasthénique (sauf quand il s’agissait de me marrer avec mes copines, là, d’un coup, j’avais l’énergie d’un marathonien olympique) que j’étais alors m’a toujours remis toutes les pendules à l’heure, pile à l’heure.
A quoi rêvais-je ? Comment j’imaginais ma vie ? Quelles étaient les valeurs auxquelles je tenais vraiment ? Comment je voyais mon futur ?
On dit souvent qu’on se connait mal, à l’adolescence, mais avec le recul et l’expérience, en réalité, je me rends compte que je ne me connaissais pas si mal que ça.Mais il fallait mettre cette connaissance à l’épreuve de la vie pour voir si elle était bien réelle. On ne sait jamais. Dont acte.

Et je lui dirais quoi, moi, aujourd’hui, à la Marie de 15 ans ? Et puis, pourquoi 15, tiens ? Pas 16, 17 ou 19 ?

Parce que je pense que 15 ans fut le pire âge de mon adolescence. Sombre et sans oxygène. Je coulais. Personne ne s’en est rendu compte, encore moins mes congénères. Qui ont fait ce qu’une majorité d’ados fait face à un autre ado qui se noie : lui enfoncer la tête encore un peu plus dans l’eau. La loi de la jungle est encore très présente, même dans les lycées les plus élitistes. Surtout là, d’ailleurs. La théorie de la sélection naturelle, j’imagine.

Notez, quand je dis que personne ne s’est rendu compte mon état, je mens. Ma mère a bien réalisé la chose (et ce ne doit pas être drôle à faire, pour une mère) et elle m’a ouvert la vanne à oxygène, grâce à son amour et sa compréhension, tout d’abord, et aussi grâce à la rencontre qu’elle a initiée avec d’autres adultes qui ont compris mon mal être. Et qui m’ont permis de le dépasser et de faire face, aux hyènes d’abord, à mes fantômes ensuite. Au bonheur enfin.
(Oui parce que ce qui est le plus rude dans ce combat, ce n’est pas d’accepter de combattre ceux qui vous coulent, mais d’accepter que vous savez nager… et même plutôt bien, en plus).

Bref, tout ça pour dire qu’à 15 ans, ça allait pas fort, fort.
Donc affrontons-nous à 15 ans.

Hé bien, contre toute attente, je ne m’en sors pas trop mal. Bon, ok, ça n’est pas parfait, y’a un « peut mieux faire (comme en témoigne cet article) » sur le bulletin, mais en fait, c’est pas si catastrophique.
Bon, me direz-vous, c’est peut-être que je n’avais pas non plus des attentes absolument incroyables de la vie adulte (de fait, quand on est en dépression, on a un chouïa de mal de se projeter dans un futur flamboyant…), mais du coup, tout ce qui est arrivé et auquel je ne m’attendais pas, je l’ai pris comme un cadeau Bonux ! Et ça a été plutôt sympa.

Alors la conversation, ça donnerait ça :

Moi 43 ans : Hello toi ! Je te rassure, ça va aller mieux, hein (maladroitement). Tiens pour commencer, bonne nouvelle, je suis mariée et maman.

Moi 15 ans : Je ne veux pas d’enfant et encore moins me marier (je vous passe le couplet sur « la maternité, cette mort des ambitions féminines » et « le mariage, cet esclavagisme de la femme », on a tous compris que j’étais très fun à 15 ans, j’en rajouterai pas).

Moi 43 ans : Ha oui, vrai. Désolée… Mais en fait, c’est une bonne nouvelle, c’est plutôt cool. Et puis le mec en question, là, tu vas sortir avec lui dans même pas 3 ans… Tu l’as déjà croisé plusieurs fois dans le lycée… (rajoutez les violons, les pétales de rose et les coupes de champ) (non, oubliez l’affaire, à 15 ans, ça le fait pas)

Moi 15 ans : Et le boulot ? (lààààà, la vraie question)

Moi 43 ans : Alors là, c’est plus compliqué. Tu fais un boulot qui n’existe pas encore (regard perplexe), mais qui te permet de ne pas être dans un bureau (regard intéressé), de bosser de partout dans le monde (regard interrogateur) et qui inclut très clairement l’écriture (regard halluciné). On peut même plutôt dire que tu as créé ton boulot et tu en vis.

En fait, à 15 ans, je n’avais aucun idée précise de « boulot » ou de carrière, d’aucuns veulent faire médecin, ingénieur, le droit ou la psycho (ces trois voies se retrouvant toutes dans mon entourage proche), moi je n’avais acuuuuuuuune idée du job que j’allais faire plus tard. Du coup, je fonctionnais par critères : pas enfermée dans un endroit, qui implique les langues et la liberté… et qui me permette d’écrire !
Vous me direz que, du coup, c’est plus facile aujourd’hui d’être contente de ma vie. A 43 ans, je remplis tous les critères, hop, j’ai passé le test haut la main.
De fait, si j’avais rêvé de gagner un Oscar ou de vivre à Melbourne, j’aurais pas le même sentiment aujourd’hui. Et je ne me présenterais pas aussi facilement devant mon moi de 15 ans. J’irais me planquer ailleurs que dans le passé.
Mais en attendant, oui, mon envie était clairement de pouvoir vivre de ma plume et de parler plusieurs langues.
J’ai d’ailleurs décidé de ma voie l’année suivante (à 16 ans) : j’allais faire des études de traductrice. Ce que j’ai fait.

Evidemment me direz-vous, le plus important n’est pas forcément les buts de vie réalisés ou pas. Ce sont aussi et surtout les valeurs.

Moi 15 ans : Et là, question valeurs, t’en es où ?

Moi 43 ans : Ha. Les valeurs. Ouais. Juste. Ben écoute, t’es assez idéaliste, là, pour le coup.

Moi 15 ans : Tu as revu tes valeurs à la baisse ???

Moi 43 ans : Nooooooon, du tout ! Mais c’est leur application qui n’est pas évidente. Et là, ça fait du bien de te voir, d’ailleurs, histoire de se prendre un nouveau shoot d’idéalisme, chose dont je manque un chouïa pour l’instant. C’est pas que la vie est dure (justement, la mienne l’est pas, c’est là que le bât blesse), c’est que les temps sont plutôt moroses (je lui dis ou pas, pour Trump ?). Ca tangue pas mal, donc faut s’accrocher un brin, mais je m’accroche, hein, je te promets…

Moi 15 ans : Si tu as besoin d’aide, reviens, hein, j’ai que ça à faire. Tant qu’à être utile à quelqu’un, autant que ce soit à moi.

Je vous passe le reste de la conversation, les détails que, à 15 ans, à coup sûr, je demanderais. Les vérifications que je ferais (« Tu t’es quand même pas mariée en meringue ? Si ? Sur ça aussi, tu as cédé ? »), les infos que je prendrais (« Donc tu dis qu’il est au lycée… Quelle classe ? Quel nom ? Quelle couleur d’yeux ? »), les soupirs que je pousserais (« Ha, tu habites là ? Heu, tu sais que c’est là que toute ta famille vit depuis des siècles ? Oui ? Que ton plan c’est quand même un peu de se barrer d’ici ? Tu trouves que c’est bien Bruxelles ? Tu te fous de moi ??? ») et les phrases rassurantes que j’aurais (« Bon, oui, ton gamin est génial, mais en même temps, tu vas pas aller me dire le contraire, hein. Ma mère me trouve bien géniale aussi, comme quoi, tu vois, l’objectivité maternelle… »).

Mais au final, je passerais le test.
Car il y a une chose qui je pense épaterait totalement mon moi de 15 ans, c’est la longévité de mon couple avec l’Homme. Je le sais d’emblée, à 15 ans, l’idée de rencontrer mon mec, l’unique, le bon, ne me dérangeait pas du tout. J’y croyais juste pas. Faut dire qu’avant l’Homme, y’a eu des spécimens un peu foireux. Et que je suis, comme beaucoup de gens de ma génération, une enfant du divorce (mais noooon, ce n’est pas héréditaire, mon frangin et moi, on s’en sort très bien de ce côté-là, comme quoi, hein !). Donc l’amour sur le long terme, autant parler de la quête du Graal.
Youplà, j’ai trouvé le Graal, dites donc !

Au final, mon moi de 43 ans rentre un peu rassuré de ces conversations avec mon moi de 15 ans. Je ne la déçois pas.

Mais du coup, il va falloir que je me trouve d’autres challenges pour la prochaine rencontre, là. Car pour finir, j’ai passé le test. C’était pas des plus compliqués, mais n’empêche, j’aurais pu tout aussi bien ne pas y arriver (surtout que le bonus du Graal, là, j’ai pas vraiment de mérite, on est deux dans l’affaire). Donc oui, il me faut d’autres challenges.

Des vrais challenges.

Parce que, maintenant, il ne me reste plus qu’à l’épater…

 

Rendez-vous ce soir pour l’article du JOUR 7 !

PS : sur la photo qui illustre cet article, je triche, je n’ai pas 15 ans. Je n’ai pas de photos de moi seule à 15 ans. Je fuyais les appareils et sur les rares où j’apparais, mon visage est marqué par mon état.
Donc j’en ai mis une bien victorieuse où, au contraire, mon moi de 15 ans serait vachement fière. J’y ai 21 ans et la photo est prise par l’Homme, pendant des vacances en amoureux. Elle est, de toutes les photos que je possède de moi (et même si d’autres sont jolies aussi), de loin celle que je préfère.