Mort d’un grand-père

« Ta grand-mère a marché avec nous, elle est merveilleuse, tu sais ! »

L’homme qui prononce cette phrase est le grand-père de l’Homme.
Nous sommes dans son salon, à regarder les photos de leurs dernières vacances à son épouse et lui. Il nous raconte leur balade dans les montagnes.

Il a près des 80 ans, mais il ne les fait pas. Son regard clair, sa voix posée, sa haute stature, son élégance discrète le rendent intemporel.
Lui et son épouse sont mariés depuis presque 50 ans et, d’ailleurs, on va fêter cet anniversaire sous peu en famille.
Moi, du haut de mes vingt et quelques années, je le regarde, éberluée.

« Elle est merveilleuse, tu sais ! »

C’est la première fois que j’entends quelqu’un qui, au bout de 50 ans de mariage, trouve encore sa femme formidable.
Et le dit, avec un enthousiasme presqu’adolescent.

Je ne sais que répondre, sinon sourire et secouer la tête en guise d’acquiescement.
Moi, fille et petite-fille du divorce. Pour qui le couple est un contrat à durée (très) déterminée.
Moi, gamine de la génération X qui use et abuse de sarcasmes et de cynisme quand il faut aborder la question de l’amour. Pour ne surtout pas montrer à l’autre qu’il pourrait nous piéger, nous coincer, nous torturer… En trois mots : nous rendre amoureux.
Moi, enfant qui n’ai que peu connu mes grands-pères (voire pas du tout pour l’un d’eux) et pour qui cette relation est un vrai mystère.
Moi, qui suis assise à côté de lui, dont la voix trahit la fierté et l’amour quand il me parle de la femme de sa vie.

Je découvre que cela existe.

L’amour sur le long terme.
Celui qui reste intact face aux années et aux aléas de la vie.
Et que l’Homme que j’aime est issu d’un homme fait de ce bois-là.

« Elle est merveilleuse »

Il existe donc des hommes qui, au bout de 50 ans de mariage (et plus même, par la suite), trouvent encore leur femme merveilleuse et osent le dire haut et fort. Sans fausse pudeur. Sans cynisme. Sans sarcasme.

Cette phrase s’est gravée en moi. Au plus profond.

Le grand-père de l’Homme a par la suite célébré ses 50 ans de mariage. Puis notre mariage à nous, l’Homme et moi. Il a accueilli ses petites-filles et son petit-fils (le petit de l’Homme pour ceux qui suivent). Il les a chéris comme il a chéri son fils et ses petits-fils. Il fallait voir la fierté du petit de l’Homme perché dans ses grands bras quand il allait le chercher à l’école maternelle !
Et c’est entouré de ses enfant, petits-enfants et arrière-petits-enfants que lui et son épouse ont célébré leurs 60 ans de mariage.
Et je suis certaine qu’il trouvait encore et toujours sa femme merveilleuse.

Ils allaient bientôt célébrer leurs 70 ans de mariage. La vie ne les avait pas épargnés ces dernières années, mais ils étaient toujours là, tous les deux, envers et contre tout.

Il a finalement dû partir en premier. Avant celle qu’il trouvait merveilleuse.

Non sans avoir montré à tous ceux qui le suivent combien l’amour est possible et si simple…

« Il me manque, tu sais. Mais je me dis que j’ai eu de la chance, j’ai eu un bon mari et j’ai eu de nombreuses belles années, alors je dois voir le positif ! »

C’est ce qu’a dit la grand-mère de l’Homme à ce dernier quand il lui a demandé comment elle allait.

Son regard rempli d’amour, sa stature rassurante, sa culture incroyable, sa voix enjouée et douce à la fois, son optimisme… Tout va manquer.
Et à elle plus encore qu’à tous.

Mais elle ne veut se souvenir que du positif, que de la chance qu’elle a eue.

Même s’il n’est plus là, elle ne le fera pas mentir, il avait raison :

Elle est merveilleuse.

Et l’Amour existe…

A Pinpin,

Bruxelles, le 6 juillet 2015

5 Commentaires

  • Canasuc

    L’amour en héritage – heureusement l’amour ne meurt pas avec ceux que l’on perd.

    Dix mois avant sa mort, Georges (@SucreGandhi), mon mari écrivait ceci, à propos de son meilleur ami. Alors, l’amour quel qu’il soit ne meurt pas.
    Et pour mes enfant, mes petits enfants et moi, cet amour qu’il nous a donné, qu’il nous a laissé, nous porte, nous aide tous les jours, à tout moment. Quand nous pensons à lui, quand nous parlons de lui, dans les yeux de chacun brille l’amour. Non l’amour semé ne meurt jamais.
    Très beau texte, j’ai toujours beaucoup de bonheur à te lire, lui aussi il aimait te lire. Merci à toi!
    Et je voudrais dire encore ceci, je le répète chaque fois que je peux, il faut parler des gens qu’on aime, et qui ne sont plus là, malheureusement, notre société a peur de parler des disparus, et pourtant …. .

    http://sucregandhi.blogspot.be/2009/10/incineration.html

  • Oh merci, tellement !
    Si tu savais combien j’aimais également le lire, vous lire ! Je sais que cela paraît incongru mais je me suis sentie en deuil quand j’ai appris son décès…
    Merci, merci mille fois pour ce témoignage, il me touche vraiment, vraiment…
    Mes pensées vont vers vous, vers votre famille… Cette journée a été un peu « montagne russes » et ton commentaire y met un joli point d’orgue…
    Merci…

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