« Dis, on a causé politique avec des copains à l’école, je peux te poser 2-3 questions ? »
C’est marrant, quand tu es né, j’ai flippé (ma race, hein, pour être franche) en me demandant comment j’allais affronter ton adolescence. J’avais déjà du mal à gérer tes premières semaines et je me disais que ce n’était qu’une petite mise en bouche : ça allait être clairement l’enfer quand tu aurais 15 ans.
Et j’avais une vision de l’enfer bien précise : me retrouver face à une sorte d’être humain complètement révolté, ingérable, hors limite et sous hormones. Un truc cool, quoi. Je pense que j’étais d’ailleurs intimement persuadée que JK Rowling, quand elle a écrit Harry Potter, avait un ado de 15 piges en tête en inventant Voldemort. Idem pour Saroumane dans le Seigneur des Anneaux, le gars, je suis encore certaine aujourd’hui qu’il est un ado qui n’a pas vieilli. OB-LI-GE.
Bref, je m’étais préparée à tout. A tout, sauf à toi.
Tu as certainement un p’tit côté Saroumane, mêlé à une touche de Voldemort en toi, mais dans des proportions tout à fait supportables, et, même, vu que je me balade à longueur de journées sur les réseaux sociaux et que j’ai longuement l’occasion de déchiffrer mes semblables, nettement moindres que la moyenne humaine à mon sens. Et en écoutant tes profs (un prof est souvent moins dithyrambique qu’un parent, va comprendre), j’ai bien compris qu’ils n’ont pas l’impression non plus d’être face au T-Rex de Jurassic Parc. Ils te décrivent plutôt comme bon élève (même parfois plus quand tu te donnes du mal ou que le truc t’intéresse), curieux, bavard, bavard (oui, deux fois, non, ce n’est pas une erreur), têtu et marrant. On a vu pire comme grand-méchant ado.
Du coup, je suis toute perdue.
Car je réalise que la difficulté d’élever un ado n’est pas du tout celle à quoi je m’attendais.
Je ne dois pas te tenir tête, je ne dois (presque) pas te demander 1000 fois de ranger ta chambre/faire ton boulot/bouger/pas faire le mur, non. Tout ça, en fait, c’est plutôt easy. La partie facile du job.
Par contre, je dois répondre à tes questions.
Et tu ne me demandes plus le nom des dinosaures (bon, aujourd’hui, je t’avoue, j’ai jamais su, mais Google est mon meilleur pote depuis ta naissance), celui des étoiles ou comment marchent les orages. Nan.
Tu me demandes mon avis en politique.
La vache.
Tu veux pas que je te raconte comment on fait les bébés, plutôt ?
Alors, soyons clairs, un avis, j’en ai (« Les avis, c’est comme les trous du cul, tout le monde en a un » citerait ton père), j’ai même que ça, en gros.
Mais cela ne suffit pas.
Je veux bien te filer mon avis, mais il m’est d’avis, justement, que cela ne fera pas l’affaire.
Mon avis est tronqué.
Il ne te donnera qu’un point de vue sur la vie.
Et c’est beaucoup trop peu pour que, toi, tu t’en fasses un.
D’autant que tu vis dans un tout autre monde que le mien. Et que si je me base sur mes données à moi, il va vite y avoir un problème dans la matrice.
A l’heure où de nombreux adultes font extrêmement bien fausse route, justement parce qu’ils ne se basent que sur leur avis et les données dont ils pensent disposer, je me dis que, toi, ado, tu dois pouvoir avoir à ta disposition bien plus qu’une seule vision. Si on veut que tu puisses appréhender la complexité et les métamorphoses du monde, il est fondamental que tu abordes la diversité des points de vue, des idées, des sujets. Que tu affrontes les changements, que tu refuses le manichéisme et que tu envisages les remises en question.
Et en y réfléchissant bien, ce sont en fait les seules choses que je dois pouvoir te transmettre. Car tu as cette chance (ou cette malchance, diront certains), de vivre à une époque charnière de l’Histoire, à un moment où tout tremble sur ses bases. Qui mènera demain à un monde bien meilleur, ou à un monde vachement pire que celui que nous connaissons aujourd’hui. Il va falloir être prêts.
Alors je vais certes pouvoir te donner mon avis (et je le ferai) mais il vaudra ce qu’il vaudra, et le temps qu’il vaudra. Dans ce monde qui change d’une minute à l’autre, voire d’une seconde à l’autre, l’important va surtout être de te transmettre des garde-fous pour pas te prendre le ravin, des connaissances pour comprendre d’où tu viens, des valeurs pour éclairer ta route et voir où tu vas. Ainsi que, allez soyons fous, de l’empathie, de l’humanité, de la réflexion et pas mal d’humour.
Pour finir, t’as pas envie de te faire la malle par la fenêtre pour sortir en boîte plutôt ?
Nan ?
Bon, ok, d’accord, j’ai compris, pose-les tes questions sur la politique…
Je t’écoute.
A Louni, le 11 décembre 2018.
PS : Vous savez pas quoi faire de votre mardi ? Hé bien, pour relire tous les articles sur les anniversaires du petit de l’Homme devenu l’ado de l’Homme, c’est par ici : 4 ans, 5 ans, 6 ans, 7 ans, 8 ans, 9 ans, 10 ans, 11 ans, 12 ans,13 ans et 14 ans.
Photographie de l’article par Ganaëlle Glume
Photographie de l’article est un selfie pris par Louni en vacances