Chambre du petit de l’Homme, heure du coucher.
Il vient de perdre sa deuxième dent, celle du dessous. Il en est d’autant plus fier qu’il a dû attendre longtemps : il perd ses dents tard, ces dernières ne se sont décidées à balancer qu’une fois ses sept ans bien sonnés.
« Tu as d’autres dents qui balancent ? »
Un éclair illumine son regard, il touche ses deux dents du dessus et les fait, un peu, balancer.
« Oh, tu vas bientôt perdre tes dents du dessus aussi ! Tu vas parler comme un petit ssssssserpent ! »
Il pouffe « un sssssssserpent ? »
« Oui, c’est comme ça que ma maman m’appelait quand j’ai perdu mes deux dents du dessus ‘mon petit sssssssserpent sssssssssiffleur' »
Il éclate de rire. Un peu à cause du serpent. Mais surtout à cause de l’idée, absurde, que moi aussi j’aie pu un jour avoir 7 ans.
Oui, j’ai eu 7 ans. Et je me le rappelle très nettement. Je me rappelle clairement aussi le sourire de ma mère, sa fierté, sa manière de me murmurer « mon petit serpent siffleur, ma grand fille à moi ».
Quand j’avais 7 ans. Autant dire hier. Il y a 30 ans.
« Tu sais que quand j’ai rencontré ta mère pour la première fois, elle avait un an de plus que toi ? » s’effare l’Homme.
Silence. Elle nous semblait à tous deux adulte, mature, responsable. Vieille, en un mot (pardon maman, ahum).
« En fait, si ça tombe, elle était juste… comme nous. »
C’est à dire pétrie d’incertitudes, agissant au mieux, et la tête pleine de folies encore à réaliser, en fait.
L’Homme s’interroge…
« On a l’âge de la génération qui commence à diriger le monde (pas encore tout-à-fait, mais presque), quand on se retourne, on se rend compte que les années derrière nous se comptent en décennies… Mais alors… Pourquoi est-ce que je ne me sens pas vieillir ? »
C’est donc cela le secret de l’âge. Que l’on apprend seulement en vieillissant. Secret que, même si on le crie aux plus jeunes, ils ne peuvent pas entendre.
La vieillesse est un concept de jeunes.
Dans quelques jours, moi aussi, je dirai le regard empli de fierté et d’amour « mon petit ssssserpent sssssiffleur, mon grand garçon » à l’enfant que j’ai mis au monde…
Et j’aurai une pensée pour ma mère qui me disait la même chose hier soir encore.
« On a deux vies, et la deuxième commence quand on se rend compte qu’on n’en a qu’une.(Confucius)
C’est clairement vrai.
Donc, là, zou, en route pour la deuxième 😉
Du juste.
Du beau.
Du simple.
Du percutant.
Du Marie, l’éternelle jeunette qui mûrit si bien.
Délicieux petit texte! Merci! Moi j’ai capté que le temps passait quand, au bois de la Cambre, lors des petits matches de foot improvisés, on a commencé à me vouvoyer. « Monsieur, passez! » En dépit du fait que tout ce respect ralentit l’injonction, donc la passe, donc le jeu.
très touchant. je viens d’avoir 30 ans et je commence à me faire exactement les memes reflexions que toi. avoir un enfant et le voir grandir c’est vraiment se rendre compte comme le temps file et qu’on ne peut pas le retenir et que sans doute on ne conscientise pas assez qu’il faut vivre chaque instant pleinement. C’est un discours qu’on a toujours entendu et qu’on ne ressent profondement qu’a partir d’un certain age, c’est marrant.