(Cet article fait partie d’une série de 9 articles, pour la suivre chronologiquement depuis le début, cliquez ici)
S’il y a bien une chose que je déteste, c’est le tourisme macabre. Je m’étais toujours dit que je n’irais pas voir le Memorial de 9/11 s’ils en faisaient un. Les tours, je les ai vues. Plusieurs fois. Je parle d’ailleurs de ma première rencontre avec ces dernières dans cet article-ci.Et je ne les portais pas dans mon cœur. L’endroit n’était pour moi pas du tout emblématique. Deux blocs de fer et de vitres battus par les vents et, à leurs pieds, une grande esplanade vide, stérile et inhumaine, balayée par les courants d’air. Avouez qu’il y a plus réjouissant comme visite et vision. Je ne me souviens pas d’y avoir vu un arbre ou un buisson, il y en avait peut-être, mais les souvenirs à ce niveau me font défaut. Pour moi, l’endroit était inintéressant au possible. Et je pense que pour bon nombre de New Yorkais, c’était le cas également. Si vous ne travailliez pas dans ce coin, ce n’était pas franchement ze place to be.
Et pourtant… sur place, j’ai eu envie de voir ce qu’ils avaient fait de cet endroit blessé et défiguré. Pour le montrer à ma mère. Pour le montrer au petit de l’Homme aussi. En 2010, la dernière fois où nous sommes allés à New York, le Memorial n’était pas terminé et seul le premier étage de la Freedom Tower était construit. Pour un enfant né en 2003 comme le mien, les Twins, 9/11 sont des mots, des chiffres, des choses abstraites, l’histoire dans l’Histoire. Du « monde d’avant », il ne connaît que ce que nous lui racontons.
Pourtant cet événement façonne toute sa vie aujourd’hui. Il n’a jamais pris un avion sans devoir enlever ses chaussures, sa ceinture, sa montre, son manteau,… Pour lui, marcher en chaussettes dans un aéroport (ou même parfois, dans tout autre endroit public !) est normal, banal. Suivre et respecter des règles qui, s’y on y réfléchit avec un tantinet de recul, sont du plus haut ridicule ne lui semble pas hallucinant. Vivre dans un monde qui tremble, qui grince et qui surprotège est son quotidien.
Il fallait qu’il comprenne pourquoi il doit vivre cette vie-là. Nous avons pris des tickets pour le Memorial. Les tickets sont gratuits, vous pouvez même les obtenir et les imprimer en ligne en vous rendant ici. Cela évite de faire la queue.
« Gratuits ? » me direz-vous ? Oui. Mais sur tout le parcours et à la boutique de souvenirs (oui, oui, il y a du merchandising autour de 9/11), on vous rappellera que vous pouvez faire un don en mettant de l’argent dans les urnes prévues à cet effet. Une manière détournée pour ne pas « faire de l’argent directement sur le malheur » mais qui permet de récolter des fonds néanmoins (fonds qui serviront à aider à terminer et entretenir le Memorial). Même chose pour les souvenirs vendus dans les boutiques du Memorial. Petit rappel, pour ceux qui l’auraient oublié : aux USA, le rapport à l’argent n’est pas du tout le même qu’en Europe et que ce qui pourrait choquer ici, ne choquera pas là-bas… Du coup, je me demande à quoi ressemblera le Memorial réellement…
Quand je débouche sur l’esplanade, mes doutes sont dissipés. L’endroit est incroyablement sobre. Des chemins pavés zigzaguent entre des bandes d’herbe plantées d’arbres. Je souris et murmure à ma mère « il leur aura fallu au moins ça pour comprendre qu’avec des arbres, c’est vachement mieux »… Plus de 3000 morts pour une vingtaine d’arbres, c’est cher payé… Mais cela donne au lieu une sérénité qu’il n’a absolument jamais eue de par le passé… Au fond, deux énormes carrés ceinturés de marbre noir et d’aluminium, nous font face. En s’en approchant, on peut y lire, gravé tout le long, les noms de chaque personne décédée dans chacune des tours (et des avions qui ont percuté ces mêmes tours). Au milieu de ces carrés, un autre carré. Et l’eau, qui s’écoule, s’écoule, s’écoule, s’écoule infiniment…
Un trou noir. Des vies aspirées. Plus de 3000 noms, volatilisés en même temps que ces tours. Une violence inouïe. Et face à cela la tristesse, la sobriété, la beauté, la puissance et la sérénité de ce lieu. Ma gorge se serre. Rester insensible est impossible. L’évidence est là : on fait face au tragique, à l’horreur.
Et pourtant, en sortant de ce lieu, en passant par la boutique de souvenirs, en écoutant les témoignages des survivant, en relisant la ligne du temps qui raconte, en grand, les événements, je ne peux empêcher une petite voix de monter en moi, de s’insurger…
Elle est où, la mise en perspective ? La prise de recul ? La réflexion sur le comportement, la violence même, des USA ?
On reconnait les victimes, on loue les sauveurs, on fait de cet événement un exemple de résilience et de nouveau départ positif mais… où est la leçon qui, selon moi, aurait pu être tirée de cette tragédie également, où est, en un mot comme en cent, l’humilité ?
Nulle part.
Noir et blanc.
Vous me direz que ce n’est peut-être pas le lieu pour cela. Cet endroit est juste posé là en mémoire aux 3000 innocents qui ne méritaient pas cette mort atroce. Mais tout ce qui tourne autour de ces deux fontaines me fait répondre que non. Cet endroit n’est pas juste un Memorial. C’est aussi un cri de l’Amérique qui fait savoir qu’elle ne se laissera pas abattre. Elle a ses victimes. Elle a ses martyrs. Elle a ses héros.
Et elle ne compte pas se remettre en question…
Nous sommes sortis du Memorial. Le reste de la journée a été plus léger. Bien, bien, bien plus léger. Après un repas au BLT Bar & Grill et des heures de shopping chez Century21 (au grand dam de l’Homme qui ne supporte pas cet endroit), nous avons terminé la journée dans une limousine pour célébrer l’anniversaire de ma maman en faisant un grand tour de Manhattan tout en sirotant du champagne.
C’est ça aussi, l’Amérique…
(Pour la suite, rendez-vous sur New York Diaries, jour 3)
Bien exprimé Marie, cette force des américains à affronter et dépasser la violence ! D’une époque à l’autre (voir exposition : « J’avais 20 ans en 60 » Liège) de New- York à Dallas,l’assassinat de J-F Kennedy…violence déjà ! Et à sa suite son frère et d’autres encore ! Toujours cette extrême violence. Mais dans le fond, l’attitude du conquérant, de l’Homme ou de la nation qui aime « guerroyer » pour gagner, être le premier à avoir ; avoir de l’argent, de l’influence et surtout montrer une force qui en fin de compte est peut-être moins présente que ce que nous voulons bien voir! La force c’est peut- être la tempérance,l’égalité dans les rapports humains, la non exploitation intensive des ressources de notre planète, un peu plus de sérénité intérieure et moins de bruit extérieur ! J’aime la manière de faire ressortir ici, après cette grande qualité de changement mise à l’avant dans ton article d’hier, la difficulté évidente de se remettre en question. Or pour changer l’un ne va pas sans l’autre ! L’attaque des Twin’s a ébranlé et changé la vision de l’Amérique pour elle- même et pour le monde entier. L’image de puissance a basculé et la force par la domination des avoirs économiques est remise en question pour tous mais pas pour l’Amérique. Aux autres de lui faire savoir et de ne plus lui porter le crédit qui a décuplé son arrogance. Le mémorial a réussi une mission, à mon sens, justement en privilégiant l’humain par l’inscription des noms, les cascades d’eau, l’arbre qui a résisté. Le choix de faire apparaître par des symboles, toute l’immatérialité de la vie et celle de la mort aussi. Moment émouvant de notre périple newyorkais ! Merci pour ton écrit! 😉