Lettre à mon fils de 14 ans

Mon amour, mon Lou,

Oui, ce coup-ci, c’est bien à toi que j’écris. Cela me fait d’ailleurs vraiment bizarre car, quand j’ai ouvert ce blog il y a pile 10 ans (oui, happy birthday le blog, aussi !), le jour de tes 4 ans, je n’imaginais pas un seul instant que tu pourrais venir lire ici un jour. J’avais déjà du mal à t’imaginer rentrer à l’école primaire, alors tu penses, que tu sois assez grand pour lire et, même, soyons fous, lire mes bafouilles (si tu ne connais pas ce mot, Google est ton pote, hein), tu imagines bien que cela tenait de la science-fiction pure et dure.

Mais voilà, on y est.

Tu m’excuseras de te refaire le coup du « oh mais purée, x ans, j’en reviens pas, tu as x ans » (changer le « x » selon l’année voulue), je crois que tout être humain devenant parent a besoin (oui, besoin) de se répéter cette phrase chaque année un paquet de fois avant de bien, bien intégrer la nouvelle donnée. Ma mère, ta grand-mère, me fait encore le coup à chacun de mes anniversaires, tu vois, t’es pas rendu… c’est à vie !
Qui plus est, si toi, tu as 14 ans de vie, cela veut aussi dire que, moi, j’ai 14 ans de maternité. Seconde info à avaler. Ca fait beaucoup pour une seule femme, j’te jure.

Et justement, de maternité, causons-en. C’est quoi, une mère ?
(Ok, à part quelqu’un qui t’intime l’ordre de mettre ton casque le matin, et pas à ton coude, hein, sur la tête; qui te demande de replier et ranger tes fringues dans l’armoire que semble visiblement plus facile à vider qu’à remplir; qui te rappelle que, non, le lave-vaisselle ne viendra pas chercher ton assiette sur la table avec ses petits pieds, qu’il va falloir que tu bouges les tiens; et qui, last but not least, t’avertit que « attends, je termine mon épisode », n’est jamais la bonne réponse à sa question)

Donc, c’est quoi, une mère ?

Ben je vais te faire peur, mais je crois que je sais pas trop répondre à cette question. Si ça tombe, tu as même une vision plus claire que moi de la chose. Une vraie réponse. Moi, je compose, je tâtonne, j’expérimente. C’est parfois foireux, c’est pas toujours marrant, mais y’a des vrais moments de génie (oh si, si, quand même, avoue !) et, surtout, un paquet de fou-rire et tout plein d’amour dedans. Faut bien avouer qu’élever un enfant, c’est le niveau 1000 du DIY. Ok, y’a des étagères entières de bouquins sur le sujet, mais, moi qui lis beaucoup, je n’ai trouvé aucun bouquin sur « Comment élever un Louni » (je trouve qu’il déchire, ce titre, non ? Non ?). Il a bien fallu que j’improvise !

Alors j’ai fait de mon mieux. Et je t’avoue que ça donne un truc pas mal.

Plus que pas mal, même.

Parce qu’il faut bien le dire, on peut être la meilleure mère du monde (quoi que veuille dire cette appellation, d’ailleurs…), avec des principes, des règles de tueuses, des valeurs de folie… si, à la base, on n’a pas un fiston qui déchire, ça ne marchera pas. Et quand je dis « qui déchire », je pèse mes mots.
Okayyyyyy, chuis pas la plus objective.
D’accord.
J’admets.
Mais je maintiens : tu déchires.
(sauf quand tu mets pas ton casque, quand tu ranges pas tes fringues, quand… ok, ok, j’arrête)

Au début de ce blog, je t’avais donné un surnom (dont tu es devenu très fier, d’ailleurs) : le petit de l’Homme. Tu es clairement le fils de ton père et cela me remplissait, et me remplit toujours, d’un amour et d’un bonheur incommensurables. Mais si tu étais petit il y a 10 ans, c’est une évidence aujourd’hui… tu ne l’es plus.
On passera sur le fait que tu me dépasses maintenant solidement en taille (no comment) et on admettra qu’à 14 ans, tu n’es plus un enfant (enfin, sauf quand tu affirmes haut et fort que tu ne sais pas plier un hoodie et que, du coup, c’est impossible de le ranger dans l’armoire, évidemment).
Tu es devenu l’Ado de l’Homme.

Et je regarde l’Ado de l’Homme, toi, interagir avec le monde.

Je te regarde te démener pendant des heures pour organiser le co-voiturage de potes pour ton anniversaire, et y arriver. Je te regarde apprendre à tes grands-mères, avec gentillesse et pleiiiiiiin de patience, les nouvelles technologies, et faire que ça marche. Je te regarde aider partout où tu peux, partout où ta présence fera la différence (et tes profs n’en reviennent pas, hein). Je te regarde te jeter avec gourmandise, avec délectation, dans de nouvelles activités, avec une énergie, une passion, qui ne te font jamais défaut. Je te regarde croquer la vie à pleines dents, avec générosité et lucidité.
Le « moteur de la classe », le « mec qui sourit tout le temps », le « garçon à qui on peut se confier », le « gamin lumineux » sont autant de locutions que j’entends revenir continuellement à ton sujet.

Ce week-end, à la fin de l’activité paintball organisée pour ton anniversaire, où tu avais rameuté une très, très grosse majorité de fille (oui, tu m’avais soutenu que le paintball est aussi une activité pour les filles et qu’elles allaient adorer cela et tu avais à 400% raison), le moniteur a sorti à ton père :
« Purée, je ne sais pas comment il fait, votre gamin, mais toutes les gamines n’en ont que pour lui ! Vous étiez comme ça, à son âge ? »
L’Homme a soupiré que non, pas vraiment, vraiment, là.
Et il s’est demandé comment cela se faisait… Comment toi, tu arrivais à être pote avec un paquet de filles, sans stress, au calme, quoi.

Alors, j’ai cherché une réponse à cela. J’en ai trouvé une et tu me diras si c’est la bonne (et si tu es arrivé à lire jusqu’ici parce que, bon, ok, mon article, il est un chouïa longuet) :
Tu considères les filles comme tes égales. J’ai toujours voulu éviter de t’élever engoncé dans un rôle stéréotypé de-la-mort-qui-tue. Avec des idées toutes faites sur ce que doit être un homme, et sur ce qu’il ne doit pas être. Et ton père a tenu à cela aussi.
Je t’avoue que ce n’est pas facile-facile, car, même en voulant ça, nous, tes parents, on a encore parfois, souvent, des réflexes sexistes. Des réflexes à la con. Que tu perces d’ailleurs rapidement à jour et à propos desquels toi-même, tu nous reprends (voir le coup du paintball ou encore la fois où je t’ai sorti que tu étais « un mec bien » et où tu m’as répondu « C’est quoi, un mec bien ? On est tous un peu bien et pas bien, hein ! ») . On t’apprend des choses, tu nous en apprends aussi.
Dans un monde en total chamboulement, où un certain nombre de gens veulent voir les stéréotypes se renforcer et où la violence à l’encontre des femmes ou des hommes « qui ne font pas assez mâles » est très présente, on a besoin de gens comme toi. Parce qu’une égalité entre hommes et femmes un jour ne rendra pas juste les femmes plus heureuses, cela fera des hommes plus épanouis aussi. Cela sera bénéfique à tout le monde. Tu le prouves au quotidien face à tes copines.
Un jour, on m’a demandé « mais quoi, tu ne pousses pas ton fils à être galant ? »
(oui, c’est la grande préoccupation du moment, ça : « il faut que les hommes soient galants ». Visiblement, ça tracasse affreusement les gens. C’est pas comme s’il y avait des problèmes graves, genre des personnes qui meurent en fuyant leur pays en guerre, ou des présidents débiles qui peuvent déclencher une attaque nucléaire à tout moment, hein, mais non, on s’inquiète que les mecs ne soient plus galants)

Ben non, je ne veux pas que tu sois galant. Non, tu ne dois pas tenir ou ouvrir une porte à une fille parce qu’elle est une fille. Tu dois tenir ou ouvrir la porte à une fille parce qu’elle est un autre être humain et qu’entre êtres humains, on s’entraide. Tu dois aussi tenir ou ouvrir la porte à un mec. Parce que lui aussi est un être humain (et qu’entre êtres humains… Bref, t’as compris).
Je suis une fille, il ne me viendrait jamais à l’idée de claquer la porte à la tronche d’un mec. C’est débile. Donc, je tiens la porte à la personne qui me suis. Ou, même, j’ouvre la porte et je laisse passer devant moi. C’est pas parce que je suis galante, hein. C’est parce que je suis bien élevée et, en plus, gentille. Et être gentil, en vrai, sérieux, c’est une qualité.
Et c’est ça que papa aurait dû répondre à l’animateur, en fait :
« Comment il fait ? Il est gentil. Il aime les autres. »

Y’a pas de secret.
Pour avoir une chance d’être aimé, il faut peut-être oser aimer d’abord.
Basique, comme dirait l’autre.

Et toi, tu oses.

Continue d’oser toujours, je t’en conjure.

Pour finir, c’est ça qui fait de toi un homme, mon fils.

Marie
Le 11 décembre 2017

(Je voudrais remercier les photographes qui ont shootés le petit de l’Homme cette année, Eric Danhier pour la photo de couverture et sur le terril et Ganaëlle Glume pour les photos avec Thémis, son inséparable, merci, mille fois merci)

(c) Ganaëlle Glume
(c) Ganaëlle Glume

, merci et encore merci pour ces magnifiques souvenirs !)

(c) Eric Danhier
(c) Ganaëlle Glume
Merci à la disc-jokey de l’Hôtel Andaz de Tokyo grâce à qui le petit de l’Homme a pu vivre une des soirées les plus inoubliables de l’année.