Tenez-vous, ça va être rude.
Pour le milieu hostile, vous prenez 10 gamin/es de 4 ans (enfin, non, vous en enlevez un et vous le remplacez par une petite terreur bien décidée de 20 mois). Un salon avec des fauteuils en cuir et de beaux meubles. Une salle à manger avec des meubles déco. Et un joli parquet nickel.
Pour la leçon de survie, vous prenez 3 nanas d’une petite trentaine. Qui sont habituées à survivre chez H&M un premier jour de soldes (autre milieu hostile urbain) et, même, à y survivre très bien. Ca vous montre leur niveau d’entraînement quand même. C’est pas rien.
Ok, là, le décor est planté.
L’action commence à 14h30 pile. Les parents amènent un à un leurs enfants. Deux des amies sont déjà sur place, la troisième est en route (Beersel, c’est pas une île déserte perdue au milieu de nulle part mais l’accès n’en est pas plus facile pour autant). Elles sont gonflées à bloc.
Ca commence en douceur. Les monstres sont encore assez calmes. L’une des amies s’en étonne « tiens, on n’en a pas encore retrouvé un jouant à Spiderman sur le dossier du divan ! ». Ouais, te réjouis pas trop vite, ma vieille.
L’amie qui reçoit a prévu des jeux pour occuper les enfants (au final, cette épreuve de survie, je ne l’ai pas encore mentionné, s’appelle officiellement « anniversaire des 4 ans d’un des meilleurs copains du petit de l’Homme », ça fait plus smart que « charge mortelle de buffles sur jolie maison beerseloise »), elle commence donc en force et annonce aux monstres assemblés: « on va faire des maaaaaaasques! ». Et apporte outre des masques à décorer, une énorme caisse remplie de plumes, colles, papier crépon, boules de couleur, serpentins… Que du joli !
« Allez-y, les enfants, asseyez-vous en rond et chacun prend un masque ». Là, une gamine sort tout de go: « beurk, je veux pas faire de masque, moi » et se casse. Les deux amies se regardent et leur regard exprime un grand « faites-que-les-autres-aient-une-folle-envie-d’en-faire-eux-car-sinon-on-n’est-pas-dans-la-merde ». Les autres monstres ne réagissent pas. Ils veulent bien faire un masque, eux. Ouf.
On commence donc par demander à l’assemblée ce qu’ils veulent faire de leur masque. Silence peu coopératif. On réitère la question. Un des monstres masculins s’exclame: « moi, je veux faire un indien ! ». Les autres monstres (masculins s’entend) enchaînent tous: « moi aussi, moi aussi, un indien ! ». L’indépendance d’esprit n’est pas un vain mot chez les garçons de 4 ans. Mais ne leur jetons pas la pierre, toutes les gamines ont sur-le-champ décidé qu’elles allaient faire une princesse avec une couronne de fleurs. Toutes. On peut donc en déduire que l’individualisation vient APRES 4 ans. Dont acte.
Les deux amies se mettent à essayer d’aider qui, un indien, qui, une princesse fleurie, qui, un indien-mieux-que-celui-du-voisin (par contre, l’esprit de compétition, à 4 ans, on est en plein dedans, hein !), qui, une-princesse-avec-des-plus-jolies-fleurs-que-la-voisine. Tout en endiguant la colle qui coule gentiment sur le parquet, les ciseaux qui s’approchent dangereusement des doigts, les plumes qui s’éparpillent un peu loin et les serpentins qui seront, très bientôt, plus marrants à dérouler dans toute la maison que faire des masques. Et, là, la monstre qui ne voulait pas faire de masque change brutalement d’avis (le premier qui en déduit un truc sur la versatilité féminine va se prendre mon genou là où ça fait mal, vous êtes prévenus), elle veut en faire un. Maintenant.
La maîtresse de maison déclare que les masques, c’est fini. Qu’on va manger les gâteaux. De fait, ce n’est pas tant une décision qu’une constatation des faits vu que les deux seules qui bricolaient, au final, c’étaient les adultes.
La troisième copine arrive enfin (bon, à sa décharge aussi, sa fille avait danse juste avant). Avec une très jolie princesse. Ha oui, car, pour reconnaître la tribu des monstres, il leur avait été intimé l’ordre de se déguiser. Ils sont donc tous arrivés déguisés en… princesses pour les filles et chevaliers pour les garçons. Ca dégouline de rose et d’épées. Sauf une gamine qui, allez comprendre pourquoi, est déguisée en danseuse de flamenco. Là, on ne peut s’empêcher de se demander comment sa mère a réussi à la convaincre que princesse, c’est complètement has-been et que le flamenco, c’est le déguisement du futur. Je suis sûre qu’il y a des tonnes de mamans de petites filles qui aimeraient vraiment connaître son truc. Sérieux. Cette mère va faire des envieuses.
La troisième copine, à la vue de la troupe de monstres, déclare d’ailleurs tout de go: « ben, y doit pas faire bon de se déguiser en coccinelle de nos jours, hein ! »
« Non, ma chérie, la coccinelle, c’était NOTRE époque »
Silence douloureux.
Mais pas le temps de s’apitoyer sur leur grand âge, l’épreuve suivante commence déjà: le gâteau. Ou comment caser 10 gamins autour d’une table qui ne comporte pas 10 chaises.
Première solution proposée par la maîtresse de maison: « hé bien, les amis, on va manger sans chaise ! Voilà ! »
Là, une gamine (la même que pour le masque ?) déclare « noooooooooon, moi, je VEUX PAS manger debouuuuuuut ! »
Faut trouver autre chose. Vite.
La troisième copine a une idée de génie: « ok, les gars, on va faire un pique-nique ! Vous savez ce que c’est, un pique-nique ? Oui ? Allez, zou, tout le monde assis par terre ! »
L’idée remporte tous les suffrages.
Et ça commence bien. Avec une parfaite coordination (dûe à l’entraînement des soldes, c’est certain), les trois copines distribuent gâteau au chocolat, gâteau aux pommes, gâteau « sans rien », jus de pomme, jus d’orange et Champomy à l’assemblée assise en rond par terre. Ca roule. Les monstres mangent. Et quand ils mangent, ils font moins de bruit. Ce qui n’est pas négligeable du tout.
Mais un fois les gâteaux engloutis, le naturel revient au galop. Au triple galop même. Et les restes de gâteau et de Champomy ne résistent pas à la charge. Les assiettes ont beau être retirées au plus vite, les verres sauvés à une vitesse grand V, il y a des miettes partout et du jus s’est répandu sur le parquet. La petite princesse de la troisième copine se met à frotter par terre, avec un air très sérieux, ce qui tranche un peu avec son déguisement de la Belle dans « La Belle et la Bête ». On vogue plutôt en plein « Cendrillon ». Et les chevaliers restent dignes, pas un ne bouge. Comme quoi, Disney, à l’épreuve du quotidien, ça tient pas la route, hein… même chez les mômes de 4 ans.
La maîtresse de maison décide de passer à l’épreuve suivante (pardon: au jeu suivant). Les deux autres copines décident d’une pause. Et filent se boire du Champomy à la cuisine.
C’est là que le magasin Louis Vuitton choisit d’appeler la troisième copine. Qui manque de s’étrangler avec les bulles du Champomy.
« Bonjour, Madame G ? Ici le magasin Louis Vuitton de Bruxelles ! »
« Heuuu, oui, oui, bonjour… »
« Dites, voilà, nous appelons nos bonnes clientes (la copine ouvre la bouche mais aucun son n’en sort) pour les prévenir que Louis Vuitton va mettre en vente des sacs exclusifs, qui viennent du défilé et qui ne seront commercialisés dans aucune boutique. Ce serait pour savoir si vous êtes libres aux dates de la vente privée ? »
« Heu, attendez, vous pouvez préciser ? Ces sacs sont-ils soldés ou bien juste exclusifs ? »
« Juste exclusifs, madame. Vous ne les trouverez nulle part d’autre ! Peut-on vous ajouter à la liste des invités ? »
« Ben, heu, oui, oui… C’est cela, à bientôt »
Nouvelle rasade de Champomy.
« T’as vu, hein, chuis dans le fichier des bonnes clientes chez Vuitton, maintenant ! Hop, ça y est, je suis invitée à aller acheter un sac à 3000 euros ! » Elle pouffe.
L’autre copine regarde le décor de fin du monde qui règne autour d’elle… Le chocolat partout, le parquet qui, malgré les efforts de la petite princesse, ne veut plus briller et colle quand on marche, la nappe de la table dont la couleur est devenue méconnaissable et les monstres, revenus d’une pêche aux canards organisée par la maîtresse de maison, en train de siffler dans des trucs-qui-font-un-bruit-d’enfer-en-se-déroulant et jouant à la bataille de chevaliers en hurlant.
« Heu, c’est quand, dis, ta vente chez Vuitton ? »
3000 euros, pour finir, c’est pas si cher payé pour se retrouver dans un endroit propre, civilisé, silencieux et glamour, hein… Là, tout de suite, la deuxième copine serait même capable de mettre 6 mois de salaire pour avoir 3 secondes de silence… Juste 3 petites secondes…
Mais la première partie de ce Koh-Lanta-à-Beersel touche à sa fin. La sonnette retentit. La maîtresse de maison hurle presque: « les premiers parents !!!!!! ». Cri quasi-primal de la trentenaire qui veut retourner à la vie normale.
La troisième copine s’enquiert: « Dis, ils peuvent peut-être repartir avec deux, nan ? »
La deuxième copine: « ben oui, dis-leur qu’on leur fait même un prix s’ils en prennent 3 !!! »
Mais les parents n’en prendront qu’un. Faut pas rêver. Ils n’ont pas relevé de défi débile, eux.
Ceci dit, les autres parents arrivent aussi. Rapidement, les monstres s’en vont. Tous.
Murmure… « Ca y est, ils sont tous partis… »
…
« Oooooooooh, il fait tout caaaaaaalme »
Mais là, la deuxième partie commence. Parce que, dans les anniversaires de gamins de 4 ans, y’a un deuxième effet kiss cool. Une after. L’effet de l’acool en moins.
Je ne sais pas si vous savez mais Beersel, c’est en endroit assez mal placé, question ouragan.
Et quand ils frappent, ils frappent. Vraiment.
Et là, l’ouragan, il s’était déchaîné. A côté, « Terre, champ de bataille », ça fait rangé. Pour vous dire.
Les deux copines ont sorti à la maîtresse de maison « bon, on va pas partir comme ça, hein, on va t’aider ». L’entraide féminine, ce n’est pas un vain mot.
Moins d’une heure après, la maison avait repris allure humaine. La troisième copine achevait de passer l’aspirateur (« elle passe quand, ta femme de ménage ? » « mardi prochain » « ok, il est où, ton aspi ? »), la deuxième copine traquait les derniers emballages de papier-cadeau et la maîtresse de maison achevait de remplir son 118.000ème sac poubelle.
Les enfants qui restaient (ceux des copines, au nombre de 5 pour elles trois) essayaient bien de ressemer le chaos. Mais, hé, ça va, hein, on en a maté 10, c’est pas 5 qui vont résister.
Enfin, la maison rangée, les choses vérifiées, les enfants ramenés dans le droit chemin, la maîtresse de maison déclare:
« Merci les filles, merci. Bon, heu, pour l’année prochaine, que diriez-vous de faire un annif groupé (le petit de l’Homme, la princesse et le meilleur ami étant nés à 15 jours de différences les uns des autres), dans une salle, avec une activité toute prévue ??? »
Moi, chuis partante, hein. Parce que, quand on y pense, ça fait 5 ans qu’on trime dur à la même date, là. Ben oui parce que c’est un truc qu’on oublie trop souvent de dire aux jeunes mères quand elles accouchent: « Madame, ne vous plaignez pas trop… Le plus dur est à venir, chaque année pile à cette date-ci » (notez, à mon avis, c’est plus sain de ne pas leur dire, ça aurait été moi, j’aurais arrêté d’accoucher illico).
Ou alors il faudrait dûment s’enquérir de l’aptitude desdites jeunes mères à survivre dans des endroits extrêmes du globe (stage en Alaska, training de survie dans la forêt amazonienne, traversée du désert de Gobi, soldes aux Galeries Lafayettes dès le premier jour,…). C’est primordial.
Mais bon, le mot de la fin revient quand même au petit de l’Homme, hein. Qui m’a déclaré une fois à la maison:
« C’est chouette, les annifs, faudrait qu’on fasse ça tous les mercredis !!!! »
Courage, à 18 ans, cet enfant ne me demandera plus d’organiser une pêche aux canards, de se déguiser en chevalier et de faire un pique-nique par terre dans le salon…
Spéciale dédicace à Ganaëlle et Sandrina, mes complices de camp de survie 😉
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