Calendrier de l’Avent : Jour 3, Chaplin, ce discours de 1940

(Cet article fait partie de la série « Calendrier de l’Avent », pour retrouver les explications et l’article du Jour 1, c’est par ici)

Je l’ai déjà dit, le petit de l’Homme a cette malchance d’avoir des parents qui aiment un minimum la culture et qui le traînent partout (et, ce, depuis un âge plus que tendre, à son grand dam) de musées en expo, d’expos en pièces de théâtre, voire en concerts classiques (ou pas). Il vit la chose avec plus ou moins de bonheur selon les activités mais continue à gentiment accompagner ses parents dans tous leurs délires (et on l’en remercie au passage).

Le délire de ce vendredi soir était la pièce « Chaplin », au Théâtre Royal du Parc.

Le petit sait très bien qui c’est, il se passait en boucle le coffret de l’intégrale de Charlot en DVD quand il portait encore des couches-culottes. Donc la pièce, ça va, on n’a pas trop dû lui expliquer le contexte.

Et parlant de ladite pièce, il faut avouer que, même si je l’ai trouvée un peu décousue et sans un fil conducteur vraiment solide et assumé, elle est d’une énergie rafraîchissante. La prestation d’Othmane Moumen en Chaplin est juste époustouflante. C’est loin d’être la première fois que je trouve cet acteur complètement génial et jouissif, mais voilà, ça confirme son talent et le bonheur qu’il apporte à la salle quand il est sur scène.

Bref, je vous conseille la pièce, surtout si vous avez des enfants et que vous voulez voir quelque chose qui bouge et dont les dialogues sont accessibles (en gros, les dialogues… ben, y’en a peu, vu que les films de Chaplin étaient muets !), un bon moment en perspective.

Mais ce qui a retenu mon attention ce vendredi soir n’est pas tant la pièce en elle-même que le discours tenu par la comédienne avant le lever de rideau.
D’habitude, cette dernière se contente d’expliquer le temps que prendra la pièce, ce qui se vend aux bars du théâtre, de ne pas manger ni boire dans la salle et d’éteindre les téléphones le temps de la représentation. Mais cette fois-ci, elle a ajouté autre chose à son petit discours habituel… Elle a ajouté un extrait du monologue de fin du « Dictateur » de Chaplin. La pièce s’y prêtait me direz-vous. Oui, mais pas que.

Voici l’extrait en question :

L’envie a empoisonné l’esprit des hommes, a barricadé le monde avec la haine, nous a fait sombrer dans la misère et les effusions de sang. Nous avons développé la vitesse pour nous enfermer en nous-mêmes. Les machines qui nous apportent l’abondance nous laissent dans l’insatisfaction. Notre savoir nous a fait devenir cyniques. Nous sommes inhumains à force d’intelligence, nous ne ressentons pas assez et nous pensons beaucoup trop. Nous sommes trop mécanisés et nous manquons d’humanité.
Nous sommes trop cultivés et nous manquons de tendresse et de gentillesse. Sans ces qualités humaines, la vie n’est plus que violence et tout est perdu.
Les avions, la radio nous ont rapprochés les uns des autres, ces inventions ne trouveront leur vrai sens que dans la bonté de l’être humain, que dans la fraternité, l’amitié et l’unité de tous les hommes.

Cette partie de monologue, monologue écrit et joué en 1940, résonne encore incroyablement aux oreilles des humains de 2016.
Et pourtant ce n’est qu’une infime partie de la tirade de fin du film, celle où Chaplin dit qu’il ne veut pas être empereur.
La suite est encore plus effroyable d’actualité, elle pourrait être dite SANS EN CHANGER UN MOT par n’importe qui aujourd’hui, à l’aube de 2017 et sembler avoir été écrite la veille.

Je ne résiste pas à l’envie de vous la mettre ici, en entier. Regardez-là.
Elle date de 1940.

Et je la dédie au petit de l’Homme, à Guillaume, à Daniel et à Anne, pour qu’ils n’oublient jamais qu’ils sont les Chaplin de demain.

Retrouvez l’article du Jour 4 demain soir !

Texte du monologue :

Je suis désolé, mais je ne veux pas être empereur, ce n’est pas mon affaire. Je ne veux ni conquérir, ni diriger personne. Je voudrais aider tout le monde dans la mesure du possible, juifs, chrétiens, païens, blancs et noirs. Nous voudrions tous nous aider si nous le pouvions, les êtres humains sont ainsi faits. Nous voulons donner le bonheur à notre prochain, pas lui donner le malheur. Nous ne voulons pas haïr ni humilier personne. Chacun de nous a sa place et notre terre est bien assez riche, elle peut nourrir tous les êtres humains. Nous pouvons tous avoir une vie belle et libre mais nous l’avons oublié.

L’envie a empoisonné l’esprit des hommes, a barricadé le monde avec la haine, nous a fait sombrer dans la misère et les effusions de sang. Nous avons développé la vitesse pour nous enfermer en nous-mêmes. Les machines qui nous apportent l’abondance nous laissent dans l’insatisfaction. Notre savoir nous a fait devenir cyniques. Nous sommes inhumains à force d’intelligence, nous ne ressentons pas assez et nous pensons beaucoup trop. Nous sommes trop mécanisés et nous manquons d’humanité.

Nous sommes trop cultivés et nous manquons de tendresse et de gentillesse. Sans ces qualités humaines, la vie n’est plus que violence et tout est perdu.

Les avions, la radio nous ont rapprochés les uns des autres, ces inventions ne trouveront leur vrai sens que dans la bonté de l’être humain, que dans la fraternité, l’amitié et l’unité de tous les hommes.

En ce moment même, ma voix atteint des millions de gens à travers le monde, des millions d’hommes, de femmes, d’enfants désespérés, victimes d’un système qui torture les faibles et emprisonne des innocents.

Je dis à tous ceux qui m’entendent : Ne désespérez pas ! Le malheur qui est sur nous n’est que le produit éphémère de l’habilité, de l’amertume de ceux qui ont peur des progrès qu’accomplit l’Humanité. Mais la haine finira par disparaître et les dictateurs mourront et le pouvoir qu’ils avaient pris aux peuples va retourner aux peuples. Et tant que des hommes mourront pour elle, la liberté ne pourra pas périr. Soldats, ne vous donnez pas à ces brutes, à une minorité qui vous méprise et qui fait de vous des esclaves, enrégimente toute votre vie et qui vous dit tout ce qu’il faut faire et ce qu’il faut penser, qui vous dirige, vous manœuvre, se sert de vous comme chair à canons et qui vous traite comme du bétail.

Ne donnez pas votre vie à ces êtres inhumains, ces hommes machines avec une machine à la place de la tête et une machine dans le cœur.

Vous n’êtes pas des machines.

Vous n’êtes pas des esclaves.

Vous êtes des hommes, des hommes avec tout l’amour du monde dans le cœur.

Vous n’avez pas de haine, sinon pour ce qui est inhumain, ce qui n’est pas fait d’amour.

Soldats ne vous battez pas pour l’esclavage mais pour la liberté.

Il est écrit dans l’Evangile selon Saint Luc « Le Royaume de Dieu est dans l’être humain », pas dans un seul humain ni dans un groupe humain, mais dans tous les humains, mais en vous, en vous le peuple qui avez le pouvoir, le pouvoir de créer les machines, le pouvoir de créer le bonheur. Vous, le peuple, vous avez le pouvoir, le pouvoir de rendre la vie belle et libre, le pouvoir de faire de cette vie une merveilleuse aventure.

Alors au nom même de la Démocratie, utilisons ce pouvoir. Il faut tous nous unir, il faut tous nous battre pour un monde nouveau, un monde humain qui donnera à chacun l’occasion de travailler, qui apportera un avenir à la jeunesse et à la vieillesse la sécurité.

Ces brutes vous ont promis toutes ces choses pour que vous leur donniez le pouvoir : ils mentaient. Ils n’ont pas tenu leurs merveilleuses promesses : jamais ils ne le feront. Les dictateurs s’affranchissent en prenant le pouvoir mais ils font un esclave du peuple.

Alors, il faut nous battre pour accomplir toutes leurs promesses. Il faut nous battre pour libérer le monde, pour renverser les frontières et les barrières raciales, pour en finir avec l’avidité, avec la haine et l’intolérance. Il faut nous battre pour construire un monde de raison, un monde où la science et le progrès mèneront tous les hommes vers le bonheur. Soldats, au nom de la Démocratie, unissons-nous tous !