« Moi, si j’avais vécu pendant la guerre, j’aurais été résistant, clairement »
Cette phrase, j’ai dû l’entendre au bas mot 25.000 fois en 47 ans d’existence.
Surtout ado.
Période où un paquet de personnes autour de moi pensaient mordicus qu’elles auraient été un grandiose mélange de de Gaulle et de Jean Moulin en 42. En mieux.
Et ça me faisait ricaner à l’époque.
Ca me fait toujours autant ricaner aujourd’hui, notez.
En rhéto (classe de terminale pour les potes français égarés par ici), j’ai été choisie, comme plusieurs autres élèves de mon école, pour participer à une émission TV qui célébrait les 50 ans de la résistance.
Nous avions passé une sélection, dû montrer notre connaissance et notre intérêt du sujet et, ensuite, proposer la question que nous voulions poser aux résistant(e)s qui allaient être sur le plateau. Je ne me souviens plus du tout de la question que j’avais soumise, mais j’ai été choisie. Et je me suis donc retrouvée sur un plateau TV, en gros, à poser ma question à des personnes qui avaient fait montre d’un courage et d’une abnégation dont je me savais totalement et absolument incapable. Et plus j’écoutais leurs témoignages, plus ma conviction se renforçait.
Mais on me répétait que, en fait, je n’en savais rien. Que le vrai caractère des gens se révèle lors d’événements durs, hors du commun, incroyables.
Et que, là, on verrait.
Ha ben c’est tout vu, mon petit père.
Bienvenue dans l’événement historique de 2020.
Non seulement, chuis pas Jean Moulin, je confirme.
Mais y’en a vraiment, vraiment pas des masses autour de moi, c’est une bien belle évidence également.
Pourtant, l’événement que nous vivons tous pour l’instant n’est pas tout à fait de la même intensité et cruauté que celui que les résistants côtoyés ce jour-là sur un plateau télé avaient pu vivre… Mais n’empêche, ça donne déjà un petit aperçu, une sorte d’état des lieux.
Et ce constat, il l’est d’abord et surtout sur moi.
Et sur ceux, nombreux, qui n’ont PAS été résistants pendant la guerre.
Ceux qui se sont accommodés de la situation, ceux qui ont fait du mieux qu’ils ont pu, ceux qui ont composé avec les petites lâchetés, ceux qui ont d’abord et avant tout essayé de sauver les leurs, de protéger qui un enfant, qui un parent, qui un être aimé.
Quand je demandais à mes grands-mères comment elles avaient vécu la guerre, la réponse était toujours la même : on a fait avec. Ca n’a pas été facile, mais on a fait avec.
Elles ont eu leurs lots de drames, de tristesse, mais en même temps, si elles ont survécu à la guerre, c’est un jour après l’autre sans grand éclat, sans grand fait d’arme digne des livres d’Histoire. Comme un paquet d’autres personnes en même temps qu’elles.
Et c’est souvent comme ça qu’on passe les grands événements, en fait. Les grands éclats, les gestes historiques et incroyables, la lucidité terrible, sont l’affaire de peu.
Tirer les conclusions de ce qu’il se passe, voir clair, où est le Bien, où est le Mal, ce n’est pas le lot de la majorité. Elle, elle tâtonne, elle survit, elle compose. Elle vogue à l’aveugle en espérant choisir un cap qui ne la fera pas s’échouer trop tôt. Elle ne sait pas vraiment dans quel camp elle est, ni même quels sont ces camps, si camps il y a.
Alors, oui, la majeure partie des gens a composé. Tantôt collabo, tantôt résistant, tantôt lâche, tantôt courageux comme pas deux.
Des humains, quoi.
Pour survivre et passer le moins mal possible une période solidement salée.
Ce constat est valable de tout temps. Depuis la nuit des temps.
Et ce comportement se justifie, aussi.
A l’énorme question qui se pose aujourd’hui sur les réseaux sociaux (oui, il s’en pose beaucoup, ok, mais y’en a une qui revient plus souvent que les autres, quand même) : QU’AUREZ-VOUS APPRIS PENDANT CETTE PANDEMIE ?
J’ai du coup trouvé ma réponse.
Elle est simple : la vie est nettement plus facile quand tu arrêtes de juger.
Bam, on arrête tout, je viens de sortir une énormité.
47 ans aujourd’hui et un constat digne d’un bouquin de coaching de vie, ça fait rêver.
Et pourtant.
Quand on voit le nombre de grands juges qui dénoncent les manquements aux règles des autres tout en s’accordant eux-mêmes quelques petites lâchetés, l’air de rien, parce qu’eux, c’est pas grave. Eux, c’est pas un manquement, c’est l’exercice de leur liberté, c’est pas pareil, on est d’accord, hein ?
On se dit que, pour finir, pas juger, ça en devient une discipline olympique. Et qu’on est tous, moi itou, très loin d’y exceller. Revenez après quelques pandémies pour oser causer médailles, on n’est clairement pas entraînés.
Pourtant, c’est important. Comprendre avant de juger. Comprendre ce que chacun vit, comment chacun survit. Avec ses forces et ses faiblesses.
Pour finir, pendant la guerre, ça devait être effectivement totalement terrifiant et rageant de voir que certains s’en sortaient grâce au marché noir ou en faisant copain-copain avec l’occupant. Et en oubliant, au passage, des notions telles que rester unis face à l’ennemi ou rester fidèles aux valeurs de la société dans laquelle on a grandi. Mais c’était ça ou crever. Sérieux, à part Jean Moulin, qui crève vraiment pour des idées ? Qui sacrifie ses enfants pour ces mêmes idées ? (ok, Jean, pour le coup, il en avait pas) Bon, vous allez me dire, heureusement qu’il était là, Moulin. Parce que c’est pas ceux qui ont juste pensé à survivre qui nous ont sauvés. D’accord, mais en même temps, si personne n’avait pu survivre, il aurait sauvé qui, Jean ? Il aurait débarqué pour qui, Charles ?
Etre un héros, c’est clairement mieux.
Mais ne pas être un héros, c’est bon aussi.
Si, justement, on peut arriver à arrêter de juger.
Et à comprendre…
Que l’autre a faim, que l’autre a peur, que l’autre n’a pas forcément les mêmes ressources que soi.
Et si on peut, du coup, ne serait-ce qu’un peu, un tout p’tit peu, s’occuper de soi, de sa propre rigueur, de ses propres manquements, mais aussi de ses propres besoins. Rester humain.
On y aurait gagné. Pas forcément la guerre, mais en humanité.
Et dans les moments historiques, on en a solidement besoin d’humanité.
C’est peut-être même justement de ça dont sont faits les héros.
Ne pas être résistants, c’est ok.
Par contre, être des humains corrects, ça peut et doit se tenter.
Non ?
Et comme c’est mon annif aujourd’hui, c’est moi qui décide de la musique, vous avez rien à dire : j’enfonce le clou avec un JJG.
Sur ce, je fonce fêter mes 47 ans confinés.
A l’intérieur, sans avoir mis les pieds une seule fois dehors en 7 semaines, entourée juste de l’Homme et l’ado.
Ca me pèse pas, je ne dois pas composer.
Et cela ne me donne pas le droit de juger.
Bonne survie à vous, on fêtera ça dignement l’année prochaine.
En liberté.
PS : la photo qui illustre cet article est une photo que j’ai prise cet été d’un coucher de soleil sur la Mer d’Okhotsk, au large de l’île d’Hokkaïdo. Et elle illustre magnifiquement justement cette idée de liberté.