Nous avons tous des grandes idées et des grands idéaux. Moi en premier.
La vie nous donne parfois la possibilité de les mettre à l’épreuve, ou pas. En fait, à bien y réfléchir, on préférerait qu’elle ne le fasse pas. Mais parfois, on choisit pas.
Et ces derniers jours, à Bruxelles, une des idées les plus répandues et les plus fréquemment entendues en cas de menace ou d’attentat a été solidement, solidement, solidement mise en lumière, en question et en perspective.
« Il faut continuer à vivre normalement, ne pas se laisser intimider, continuer à sortir, à vivre, si on ne le fait pas, ils auront gagné ! »
Normalement, j’adhère à cette idée. Je serais con de ne pas le faire.
Et je dois avouer que si j’adhère, en fait, ce n’est même pas pour éviter que « les méchants gagnent », je vais même être franche : je m’en bats les ovaires de savoir que le fait que j’aie peur et que je reste confinée chez moi fasse plaisir à un djihadiste. Je m’en tamponne le coquillard grave. Je m’en vaseline le coccyx (merci San Antonio !). Ce que pense ce gars ne m’intéresse pas et ses joies et ses peines, je m’en branle.
Mais alors pourquoi, malgré tout, me dire qu’il est important de continuer à vivre normalement ? Et y tenir ?
J’ai eu le temps d’explorer la question, grâce au #BrusselsLockdown (pour ceux qui reviendraient d’un rafraîchissant petit planète-trip sur Mars : Bruxelles a été en état de siège complet pendant 4 jours, avec son métro, ses centres commerciaux, culturels, sportifs et ses écoles fermés, des blindés légers et l’armée dans ses rues… C’était vraiment sympa, vous avez raté un truc !), engluée chez moi avec l’Homme et le petit de l’Homme qui ne comptaient pas… s’en laisser compter !
De fait, on a plutôt bien résisté à la pression, au départ. Le petit de l’Homme a pu continuer toutes ses activités (son prof de tennis a assuré les cours, son école de danse a décidé de rester ouverte) sans se faire atteindre par la peur ambiante. Et puis, l’amitié a aidé à résister, aussi. Les amis réunis au chaud, un spaghet-bolo de folie, des feintes à n’en plus finir, du bon vin… Pour finir, pas besoin de centre commercial, ni de salle de sport pour passer du temps de qualité (mais ça, je le savais déjà, hein).
Le plus rude a été la fermeture des écoles. La situation qui se prolonge. La peur qui continue de ramper et d’envahir les esprits.
La peur.
Celle qui paralyse, qui vous empêche de réfléchir rationnellement.
La peur.
Pas celle que vous avez concernant votre propre sort, mais celle qui vous fait trembler pour ceux que vous aimez.`
La peur.
Celle qui vous bouffe votre énergie vitale, qui vous empêche de dormir.
Elle a éclaté quand la nouvelle est tombée : le niveau d’alerte était toujours au maximum et les écoles allaient réouvrir.
Panique. Etouffement.
Comment voulez-vous parler de manière rationnelle et continuer à dire qu’il faut vivre normalement quand vous mettez la vie de vos proches, de votre gosse, dans la balance ?
Comment garder l’esprit clair et clairvoyant ?
Comment ne pas se laisser polluer par cet appel des tripes qui vous brouille la vue et l’esprit ?
Surtout quand, en plus, autour de vous, tout le monde semble être atteint du même mal.
Tous sauf deux.
L’Homme.
Et le petit de l’Homme.
Le premier, pourtant, n’est pas une tête brulée. Quand la menace est passée au niveau 4, il a raisonnablement préféré qu’on fasse une soirée entre potes à la maison plutôt qu’au resto. Sans stress inutile, mais avec sagesse. Il a accepté les mesures prises par le gouvernement avec philosophie et sans plus de discussion inutile. Mais il a tenu un cap, un seul : il a continué à vivre. Il n’y a pas de métro ? C’est pas grave, il prendra un tram pour aller au boulot. Les magasins de Bruxelles sont fermés ? Pas ceux de la périphérie, il ira donc faire ses courses là-bas. Respectueux des règles de prudence, mais pas paralysé par la peur. Droit dans ses pompes.
Le petit, lui, n’a fait aucune concession. Ok, il a été hyper heureux de ne pas avoir école. Mais il a aussi été hyper heureux d’y retourner. Son envie et sa rage de vivre du haut de ses (presque) 12 ans m’ont poussée à dépasser ma propre peur. Tout en lui criait son envie de vivre sa vie d’enfant. Je lui ai malgré tout distillé les règles de prudence adéquates en ces temps troublés. Qu’il s’est empressé de questionner, de remettre en perspective, de tourner en eau de boudin. Me faisant réaliser, au passage, que mes arguments et ma peur ne tenaient pas la route un millième de seconde.
Et, là, poussée dans le dos par ces vents contraires, j’ai bien dû réfléchir au POURQUOI je devais continuer à vivre normalement, à profiter de la vie.
Et j’ai trouvé la réponse.
Elle est simple :
Parce que si je me laisse envahir par la peur, je cesse de vivre.
Et, selon une lapalissade aussi stupide que vraie, si je cesse de vivre… je meurs.
Oui, on a un pourcentage non négligeable de « chances » de mourir dans un attentat.
Oui, mon fils aussi.
Chaque fois qu’il traverse la route dangereuse sur laquelle se trouve son école, je tremble. Matin et soir. Mais je le laisse traverser.
Car chaque fois qu’il traverse, je sais que c’est pour vivre des choses magnifiques. Grandir, s’épanouir, faire des projets. Dévorer la vie.
Cela ne m’empêche pas de trembler, hein, comprenons-nous. Mais cela me permet de savoir pourquoi je le laisse traverser et ne le garde pas enfermé à la maison.
Alors j’ai pas dormi, je m’en suis voulu à mort, j’ai eu peur toute la journée (et j’ai encore peur d’ailleurs), mais il est retourné à l’école.
Malgré la route à traverser.
Malgré les attentats.
Et en fonçant sur sa trottinette (malgré mon interdiction, pompopom).
Avec une bonne dose d’insouciance, certes, mais aussi poussé par la seule raison qui m’a fait le mettre au monde :
La rage de vivre.
PS : merci aussi à cette autre amie, qui se reconnaitra, qui a trouvé les mots pour me rassurer et qui a, elle aussi, repris le chemin de l’école, son école, pour aller rassurer ses élèves et leur dire que vivre, cela ne se fait pas sans risque. Et merci à l’école du petit de l’Homme qui a, elle aussi, rassuré ses élèves et qui canalise… cette folle envie de vivre pour en faire une force et non une faiblesse !