(Ce texte est écrit devant un reportage sur la propagande en Russie, autant vous dire qu’il ne va pas transpirer l’hilarité)
(Mais en même temps, avons-nous vraiment envie d’hilarité ?)
Ceux qui me connaissent savent que plus jeune (adolescente et jeune adulte), je faisais une réelle fixation : tout savoir, tout connaître sur la seconde guerre mondiale.
On va l’avouer, c’est assez commun, voir banal, comme intérêt.
Mais dans mon cas, ça virait quand même légèrement à l’obsession.
Et je ne sais pas trop d’où cette idée me venait. De mon roman scout préféré de l’époque ? D’un récit raconté par mon grand oncle, qui s’était retrouvé bombardé sur la route de l’exil ? Du journal d’Anne Franck, que j’avais lu deux fois à 11 ans (j’étais responsable de la bibliothèque de la classe, j’avais donc un accès sans limite aux livres que je voulais lire et relire) ?
Un peu tout cela à la fois, j’imagine.
J’ai donc grandi avec l’histoire de cette période dans la tête.
Un brin nostalgique quand j’étais ado (oui, d’une époque que je n’ai pas connue, c’est plutôt con et naïf, mais cette période et la petite histoire me semblait romantiques et héroïques à souhait), puis de plus en plus interpellée par la grande histoire et par la complexité cachée derrière une très apparente simplicité qu’on s’ingéniait à nous faire étudier dans tous les cours d’histoire, quitte à nous faire tous croire qu’on aurait été, dans un bel ensemble, de vrais résistants de la première heure.
Et je pense que bon nombre de gens de ma génération étaient et sont toujours persuadés qu’à la place de leurs grands-parents, ils auraient été résistants.
(et pour preuve, certains, ces derniers temps, ont été jusqu’à se prendre pour tels, d’ailleurs)
J’avoue, j’étais pas aussi sûre qu’eux en ce qui concerne mon cas.
J’étais même pas sûre du tout.
Je devais avoir trop d’admiration envers l’héroïque romantisme des récits dont je m’abreuvais pour prétendre à un quelconque courage menant à une réelle résistance.
Je savais que j’étais dépourvue de tout courage. C’était donc mal barré pour devenir une méga grande résistante.
Cette problématique réglée vite fait, je continuai pourtant à m’interroger.
Qu’est-ce qui faisait que certains être humains étaient devenus (au péril de leur vie et de la vie de tous leurs proches) des résistants et d’autres, des collaborateurs ?
Je me doutais que pour être résistants, il fallait bien plus qu’une bonne dose de courage.
Et je me doutais aussi que, pour être dans l’autre camp, il fallait bien plus qu’une bonne dose de non-courage.
Car, tout en sachant que je n’aurais jamais été Lucie Aubrac, je savais néanmoins que la collaboration n’aurait pas été ma came non plus.
Il y a clairement eu toute une partie de la population qui n’a jamais choisi un camp et qui a continué à vivre sa vie bon gré mal gré en s’accommodant de la situation et en essayant juste, la plupart du temps, de survivre.
Le commun des mortels, quoi.
Mais qu’est-ce qui distinguait les uns et les autre de, justement, ce commun ?
La question m’a poursuivie, longtemps.
Parce que, vraiment, je n’en comprenais pas tous les ressorts. Il manquait des pièces.
Certaines se sont mises en place, évidemment, avec le temps, l’âge, les lectures et, aussi, mes visites à Berlin (le travail des Allemands sur cette période de l’Histoire est à louer, vraiment).
Pauvre ado de l’Homme (pardon, on dit l’Etudiant, maintenant) et pauvre Homme, qui ont fait tous les musées, tous les films, toutes les expos de long en large et en travers.
(Je pense qu’ils sont fin prêts à aller vivre en 1940, aucun risque de choc historique)
Mais faire, voir, lire tout cela ne m’a en rien aidée.
Car en fait, le tableau était purement théorique.
Avec les bons et les méchants.
Les forts et les faibles.
Les victimes et les coupables.
NOIR.
BLANC.
ALORS ?
Alors, hé bien, j’ai finalement eu ma réponse.
Il aura fallu « juste » attendre que, comme moi, la planète vieillisse.
Il aura fallu « juste » attendre que le cycle recommence.
Laisser la peur se répandre.
Laisser les idées enfler.
Laisser la haine gonfler.
AUCUN musée, aussi bon soit-il, ne pourra vous montrer mieux ces mécanismes que la vie elle-même.
Et en fait, aucun musée, ni aucun cours d’Histoire ne pourra jamais vous apprendre ce que la vie vous démontrera violemment : vous ne verrez pas forcément clairement qui est résistant, qui est collabo. Vous pourrez aimer un bourreau, détester une victime. Vous ne comprendrez pas obligatoirement que votre discours est un discours de haine et non un discours d’amour ou de compréhension.
Vous vous penserez bon, et vous serez peut-être ignoble.
En Russie, ils pensent très sincèrement être du bon côté de l’Histoire.
Et certains en Europe et dans le monde les appuient.
Même les faits les plus assurés, les plus vérifiés ne leur permettent plus de voir clairement le cours des choses.
Pourquoi ? Il y aurait de quoi rédiger une thèse en réponse à cette question.
Je me contenterai de constater que la peur de l’autre, l’inconnu, engendre la haine, et que c’est bien souvent une des bases de toute explication.
Marie-de-15-ans et Marie-de-25-ans ont leur réponse.
La dernière pièce du puzzle.
Et, à 49 ans, elles réalisent qu’elles s’en seraient bien passée.
On m’a reproché (clin d’oeil à quelqu’un qui se reconnaîtra) de ne plus poster que des photos et histoires légères dans mon flux.
Un réel manque de profondeur.
Basta les grands articles (enfin, sauf à mon annif, bande de veinard(e)s).
Basta les débats sur les réseaux sociaux (y’a plus que les masochistes qui débattent là-dessus, non ?).
Basta le partage d’idée, les empoignades, les envolées.
Ca fait un bail que tout cela est remplacé par des coupes de champagne, des images de plages et de paysages du bout du monde.
Chuis désolée, mais c’est effectivement ce que j’ai envie de partager.
Pas que ma vie ne soit faite que de plages, champagne et volupté (y’en a visiblement qui doutent, dans le fond là-bas). On est tous assez aguerris aujourd’hui pour savoir que ça n’existe pas, une vie comme ça (ou alors, vous êtes un hamster, mais ça boit pas de champagne, je vous rappelle, un hamster, et il faudrait aussi éviter de le laisser cramer sur une plage, au passage), mais ces dernières années quoi que je puisse écrire, argumenter, hurler, déballer, ne fait jamais qu’ajouter du bruit au bruit.
Car si vous lisez ce blog depuis presque 15 ans, vous l’aurez constaté : je ne ferais que me répéter (et pour preuve, si vous voulez un compte rendu de la situation en Ukraine aujourd’hui, allez juste lire mon article sur Alep à l’époque, vous voyez ? RIEN N’A CHANGE).
Alors on va continuer comme ça un ‘ptit temps. Avec des bulles, des paysages et un peu d’autres partages. Et des photos de vacances, tiens.
Et c’est d’ailleurs pour cette raison que vous avez une photo de moi en maillot au soleil comme couverture de cet article.
Bon, aussi parce que j’ai juré à mes collègues que je la mettrais, mais que j’ai pas vraiment le courage de tenir parole pour la mettre en entier (alors vous vous contenterez de la version coupée).
Oh, au fait, à propos de courage, quand je me sentirai celui de devenir résistante (si jamais cela advenait), je vous ferai signe.
En attendant, aujourd’hui, j’ai 49 ans.
Je peux encore presque me permettre de poster des plages et de la légèreté.
Qu’en sera-t-il quand j’en aurai 50 ?
C’est à vous, aussi, de décider…
Marie, 29 avril 2022