De la légitimation du racisme ordinaire…

Malaise…

Ce soir, au Brussels Summer Festival, Stromae faisait le concert de clôture du Festival.

A un moment de ce concert, alors qu’il allait entamer une chanson d’Arno, chanteur et compatriote du côté néérlandophone du pays, il s’est écrié : « Il n’y a pas de problèmes de communautés en Belgique ! ».

La foule a hurlé son adhésion à cette affirmation. Heureuse. Et conquise.

J’aurais voulu hurler aussi.

Mais je me suis retenue.

Je me suis retenue parce que je me suis souvenue de certaines conversations que j’ai pu avoir avec des amies ces derniers temps.

Celle avec cette amie qui s’est vue insultée par plusieurs personnes clientes comme elle d’un établissement de la côte belge car elle parlait français avec sa fille de 8 ans.

Celle avec cette autre amie dont un ami s’est fait agresser car il parlait français dans la file d’un distributeur de billets à Gand.

Et celle aussi avec cette amie qui a entendu, sur la plage, une mère dire à sa fille « tu es flamande ou tu es conne ? Tu comprends pas le français ? ».

Celle avec, celle avec…

Je ne sais pas si ce nombre d’histoires augmente de plus en plus ces derniers temps/mois/années ou si c’est moi qui y fais plus attention mais cela provoque chez moi un réel sentiment de malaise. Et je sais que je ne suis pas la seule à le ressentir.

Qui plus est, je suis certaine que de l’autre côté de la frontière linguistique, des gens doivent faire le même constat en sens inverse…

Le racisme évident de certaines de ces remarques (et leur violence) n’est pas un fait nouveau. Le racisme et la violence ont existé de tous temps, bien sûr.

Mais ce que je constate, c’est que les discours corsés voire extrémistes de certains des politiciens du pays donnent aujourd’hui une réelle légitimité à ces remarques. Non seulement les gens ne se sentent plus coupables de les faire, mais en plus, ils se disent qu’ils ont raison de les exprimer, que leurs élus sont d’accord avec eux.

Soyons francs et honnêtes un instant : jusqu’où va-t-on laisser ses remarques aller ? Jusqu’où va-t-on laisser des discours politiques légitimer des actions et des paroles qui mettent en danger non seulement la liberté de certains citoyens, mais aussi, parfois, leur intégrité physique ?

Je vais me ramasser un point Godwin sur le coin de la tronche là, mais va-t-on attendre d’en arriver aux extrémités des années 30 dans l’Allemagne nazie, ou, pire, aux atrocités des années 39-45 pour réagir ?

J’en vois hurler que nous n’en sommes pas là encore, que j’exagère. Ha. D’accord.

N’empêche, on dit souvent (aux enfants mais c’est bon à tout âge en fait) que l’exemple vient d’en haut. Et quand je vois ce que « en haut » signifie dans ce pays, je ricane doucement.

Et je me dis que la foule a beau acclamer Stromae chantant du Arno, que les artistes flamands comme francophones ont beau se battre contre les idées puantes qui rampent dans ce pays…

Il y a un certain nombre de personnes qui se sentent aujourd’hui totalement dans leur bon droit d’exprimer et de revendiquer des idées qui ont été à la source même de la mort de millions d’êtres humains.

Mais nous n’en sommes pas là, non, nous n’en sommes pas là.

On en prend juste le chemin, tranquillement, calmement, en toute légitimité. Avec force et constance.

Jusqu’au jour où il faudra se rendre à l’évidence, on comptera nos morts.

Et on le fera tout aussi légitimement.

 

(Ce texte fait partie de la série lancée par le Pari de Marie)

16 Commentaires

  • Freddt

    « Il y a un certain nombre de personnes qui se sentent aujourd’hui totalement dans leur bon droit d’exprimer et de revendiquer des idées qui ont été à la source même de la mort de millions d’êtres humains »

    Aujourd’hui ???
    Nan sérieusement, Marie, ca fait looongtemps que ca dure et perdure, particulièrement du côté nord de cette frontière linguistique créée à coup de Walse ratten et autres quolibets joyeux.
    Ca fait longtemps que les groupuscules néo fascistes y ont droit de cité aussi, et y ont leurs entrées politiques via des partis comme la Volksunie hier (dont bien des membres sont actuellement dans des partis dits respectables), le Belang aujourd’hui.
    Aujourd’hui la différence c’est que les parti qui incluent « ces gens là » sont quasi majoritaire en Flandres, et le sont très nettement si on considère leurs recrues volksuniennes…

  • Je serai effectivement de ceux ici, qui diront qu’on n’en est pas encore là, et qu’effectivement, t’exagères:) Je suis persuadée qu’on peut parler de montée du racisme, d’intolérance et de discriminations sans tout de suite se référer aux années 30, avec les conséquences que l’on connait et qu’on banalise par la même occasion. Gros bisous

  • Je suis un Belge avant d’être wallon… mais être reçu comme un merde car je suis francophone dans un établissement d’0ostduinkerke alors que je viens y dépenser mon argent.
    Hé bien moi,… c’est simple… maintenant… je vais à la mer… en France.

  • Pascal

    Pendant ce temps mon fils de 4 ans prononçait ses premiers mots de néerlandais avec un « dankuuu mevvouw » et un grand sourire…

    A la mer, si on fait le premier pas, si on balbutie ou baragouine quelques bribes de néerlandais, la plupart des commerçants swichent (non sans fierté certes…) dans la langue du nord.

    Un enfant ne nait jamais raciste ou xénophobe, jamais.

  • Jeanjean

    Triste constat. En w-e à Ostende, j’ai discuté avec un vieux monsieur flamand très courtois qui me disait avoir peur, vouloir s’expatrier à Bruxelles ou en Wallonnie, qu’il ne voulait plus revivre les années 40. Un pur ostendais. Plus tard, à la terrasse d’un restaurant, évoquant cette discussion, mes amies et moi nous sommes fait littéralement agressé par un autre client (« tolérés », « ignorants »,…) avant d’être sèchement évacuer par le serveur. Donc, je ne vous décernerai pas le point Godwin.

  • Maureen

    Je suis tout à fait d’accord avec Pascal!
    Nos enfants 4 ans et demi et bientôt 10 ans, disent bonjour en néérlandais, nous leur faisons dire bonjour en neerlandais. Nous faisons l’effort aussi de parler neerlandais, et ça nous semble tout à fait normal.
    Nous avons toujours été bien reçu, TOUJOURS, et peu importe le lieu (plage, commerces, …)

    Lorsque je bossais et que je devais m’occuper de clients neerlandophones, de part et d’autre un effort était fait pour se comprendre et se faire comprendre dans la langue de l’autre et si vraiment on n’y parvenait pas en « franneerlançaidais » on « anglifiait » le tout 😉 et le tour était joué, avec une franche tranche de rire en prime!

    Mais quid des politiques… seront-ils capables de faire fi de leurs basses rancunes linguistico-politico-je-ne-sais-quoi-d’autre pour que la douceur de vivre revienne en belgique…

    I hope so 😉

  • Fred, ben justement, tu confirmes mes dires. Relis-moi, c’est ce que je dis aussi.

    Avant il n’y avait pas cette « légitimité », les idées, paroles et actions étaient là mais il y avait nettement moins de monde (et nettement moins de gens « en vue ») pour les approuver ou les légitimer !

    J’ai l’impression qu’aujourd’hui, on les légitime mais en plus, on leur donne le droit de s’exprimer (dans les médias, les meetings, au Parlement, etc.)…

  • Gé, non, là, tu me comprends mal.
    Je ne banalise pas, pas du tout, au contraire, j’en ai marre qu’on banalise et qu’on ferme les yeux en se disant que « c’est pas grave ».

    A l’époque, on n’a pas fait gaffe, on a fermé les yeux, et bien fermé.

    Aujourd’hui, oui, tu as 10.000 fois raison (et je le dis aussi, hein !), nous n’en sommes pas là MAIS à force de se dire que nous n’en sommes pas là, que c’était bien plus grave à l’époque (et ce l’était, bien sûr), on oublie de voir les glissements, insidieux, qui se produisent dans notre société aujourd’hui…

    Comme si les gens avaient oublié les leçons de l’Histoire…

    (et je te jure, ce que je lis sur Twitter de la part de certains fait clairement froid dans le dos)

  • JeanJean,

    Oui, même constat.

    Mais j’insiste, il s’agit là de faits isolés, je ne mets pas tout le monde dans le même sac.

    J’ai par ailleurs des dizaines d’autres exemples de moments magiques où les choses se passent comme elles devraient se passer partout, avec respect et compréhension mutuelle.

  • Pascal et Maureen,

    Je ne parle pas des commerçants ici !!!! Pas du tout !!!
    Je n’ai encore jamais (dans mon entourage ni dans ma vie quotidienne) eut de problème avec un commerçant !!!
    Et évidemment qu’il est plus qu’important de s’adresser à autrui dans la langue de cette personne, de faire un pas vers elle/lui, cela me semble complètement normal.

    Ici ce que je dénonce, c’est le fait de quelques-uns (des deux communautés, d’ailleurs) qui auraient déjà pensé ce qu’ils pensent aujourd’hui, mais qui, maintenant, se sentent légitimes de l’exprimer et de l’accompagner d’actes même parfois.

    A nous d’élever nos enfants pour qu’ils ne puissent pas avoir ce genre de comportement. A nous de leur apprendre la richesse des échanges avec autrui, la richesse que la connaissance d’une autre langue peut apporter.

    Pour qu’ils ne véhiculent pas, à leur tour, des idées nauséabondes…

  • Pascal

    Je faisais plus référence à un commentaire qu’à l’article, autant pour moi.

    Bonne conclusion Marie, l’éducation c’est primordial, mais comment lutter contre des clichés, des réflexes réactionnaires qui finissent malgré tout par résister aux passages de témoins transgénérationnels?

    PS: La NVA n’était pas représentée au « Gordel », positivement étonnant?

  • Marc

    Je peux confirmer que je suis de plus en plus confronté à ce genre de réactions de la part de nos amis flamands (mon activité me confronte au public et je ne peux deviner son origine). C’est bizarre (mais pas vraiment), cela disparait lorsque je réponds en néerlandais… La faute aux politiques avec leur discours électoraliste et à la presse qui met de l’huile sur le feu dans un but bassement commercial, sûrement, cependant un effort des 2 côtés aplanis bien des problèmes.
    Mais la majorité est malheureusement par trop influençable par le discours commun et se sent dès lors légitimé dans ses excès…

  • Pierre

    Tout à fait d’accord!

    J’habite à Linkebeek, et je peux vous dire que bien qu’on soit 80-85% de population à parler français, si vous tombez sur un policier flamand (ce qui représente bien 70% de la police linkebeekoise… cherchez l’intrus), vous avez beau faire l’effort de baragouiner tout ce que vous pouvez en flamand, il va vous faire c**er deux fois sur trois. Parce que vous êtes « l’envahisseur francophone ».

    Et puis, regardez meise, commune NV-A, où un club sportif est trainé en justice pour « abus de la langue française dans les vestiaires » (et je cite).

    Alors certes, c’est pas l’allemagne nazie, et utiliser la shoah à tour de bras dès qu’un acte de racisme apparaît, ça a pour unique résultat de dédramatiser l’Histoire, mais c’est pas pour autant que ce qu’il se passe est acceptable. Parce que ça l’est pas.
    Et quand j’imagine un pauvre français de Paris qui vient boire un café sur la digue de nieuwpoort et qui se fait rembarrer parce qu’il parle français et pas flamand, je m’dis qu’on est quand même bien cons.

    Et je vais pas essayer de faire dans le nuancé-politico correct en disant que ce qu’il se passe au nord se passe au sud, parce que c’est pas vrai. Certes, un flamand dans le sud risque d’être traité de « sale flamand ». Et c’est grave. Mais on va pas lui coller un procès pour s’exprimer dans sa langue. Parce que ça, c’est du soutien politique. Et c’est pire.

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