Et d’un coup, le silence…

« Tu veux que je te raconte le film que je viens de voir ? »

Il n’a pas attendu ma réponse, il a entamé son résumé à peine dehors. Je ferme la porte de la maison, m’accroche pour ne pas glisser sur la neige. Il continue, il est tout entier à son récit.

« Ok, vas-y, fais-moi le résumé »

Mais de résumé, il n’en est point question. Au contraire, son « résumé » est plus long que l’histoire originale, il y ajoute des détails, son avis personnel sur certaines choses, ses constatations…

Je ne l’écoute pas, j’avoue. Plongée que je suis dans mes préoccupations boulot, dans mes réflexions philosophiques à deux balles, dans l’heure qui avance et qui fait que nous allons être en retard à son cours de gym, dans la gestion de la soirée, du quotidien, dans mes idées de « grande personne »…

« Tu comprends ? C’est pas juste pour lui, tu comprends ? »

Il insiste.

« Heu, ouais, ouais, c’est pas juste, t’as raison… »

La petite voix claire continue de plus belle.

Elle me saoule, sa voix, s’il pouvait se taire deux minutes ! Juste deux minutes, que je puisse penser à mes problèmes, quoi !

Non, il n’arrête pas.

Au contraire…

« Je me souviens plus très bien de la suite, mais je connais la fin. Tu veux que je te raconte la fin ? »

J’ai envie de lui dire non. Abruptement. Que je la connais, son histoire de haricot magique. J’ai eu 7 ans aussi et je connais la fin, ça ira, merci.

Mais je m’entends répondre : « oui, bien sûr, continue ! C’est quoi la fin ? »

Je culpabilise. Chuis nulle comme mère. A chier. Comment elles font, les mères parfaites, à écouter leurs gamins, à renchérir, à se réjouir de chaque détail, chaque « et puiiiiiiiis » ? Comment elles font pour, aussi, en même temps, réfléchir à ce qu’il va falloir acheter pour manger le soir ? A composer l’email boulot qu’elles doivent encore envoyer ?

Nous montons les escaliers. Comme prévu, on est en retard à son cours de gym. J’ai 10 secondes chrono pour le mettre en tenue. Il est encore dans son récit, tout fier, du haricot magique.

« Mais grouille-toi, tout le monde est rentré ! Allez ! Enlève ton pull ! »

Il s’avance vers la porte de la salle, se retourne, vient se coller contre moi et me dit « à plus tard ! » en me serrant fort.

Il fonce dans la salle.

Je tourne les talons, j’ai des courses à faire, un mail à envoyer, des lessives à terminer avec les fringues d’hiver…

Je claque la porte.

Et d’un coup, le silence. Des voitures, une moto, certes, mais le silence malgré tout… Cette impression de solitude dense, ce sanglot qui monte sans larmes.

La petite voix me manque. Intensément. Affreusement.

14 Commentaires

  • Thaliane

    Je vis exactement ça tous les matins en les emmenant à l’école : dans ma tête « mais laissez commencer à me concentrer sur mon travail ! » à côté des babillages joyeux. Et quand ils passent le portail de l’école en faisant mine de ne pas se retourner parce que ça commence à être honte de dire trop ostensiblement au revoir à sa vieille mère, finalement, je n’arrive pas à me concentrer dans le silence, je suis trop occupée à imaginer comment ils vont vivre leur journée. C’est un peu con une mère 😉

  • Thaliane, c’est exactement cela 😉

    Et puis on se dit qu’on aurait dû en profiter plus, on essaye de se rappeler ce qu’ils ont dit…

    Oui, on est un peu con, j’admets aussi 😉

  • Michael

    Rassurez-vous Mesdames, un père c’est tout aussi con. Cela fait deux semaines que le mien n’arrête pas de chanter. Partout, tout le temps: du lever au coucher, dans le bain, à table, dans le bus que nous prenons le matin pour aller à l’école, etc. Et dès qu’il monte les deux volées d’escaliers qui sépare sa classe de la porte d’entrée, sa voix me manque déjà.

  • Framboise

    Ne désespérez pas jeunes parents, le moment viendra où vous serez excessivement attentifs à chaque seconde de leurs récits et de leurs chansons car vous ferez d’adorables grands parents !
    Chaque instants partagés ne sera plus une course contre la montre, plus de règles à rappeler tout le temps, plus d’autres pensées dans la tête car vous pourrez VIVRE le moment présent, cadeau si précieux de la vie.
    Ah la magie du grand âge qui nous permet,plus souvent que lorsque nous étions parents, de relativiser…lorsque nous passons des moments près d’eux. Mais, tout à coup lorsque le retour chez papa et maman se pointe, le coeur se serre et vous marmonner dans vos dents : « le temps a passé trop vite « ! » vivement la semaine prochaine »! Non, c’est pas que con un grand-parent,c’est aussi,comme vous… vivant!
    Bisous.

  • pffff….Ca m’arrive tout le temps, ça! Dans la voiture, avant l’école….Dans la voiture, après l’école…
    A la maison quand j’internette…dans la cuisine, quand je cuisine….
    Mais le soir, quand ils dorment et que je m’installe, tard, et que je vois la voiture de mickey qui traine près de la table…Je me dis que demain, je les écouterai davantage, que je serai plus là!
    Et le lendemain, je prends la voiture pour les conduire à l’école…
    Biz Marie!

  • Kelu

    Tombé par hasard sur votre blog au cours de mes recherches d’écriture, j’enchaîne chronique sur chronique et je me dis qu’il faut que je m’arrête pour vous remerciez de si bien écrire, de si bien me faire ressentir vos ressentis. Vous racontez divinement bien alors je vous dis merci. Aller, j’y retourne, j’ai des trucs à faire mais tant pis, c’est si bon de vous lire.

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