Calendrier de l’avent : Jour 5, Et si j’étais née en 17, à Leidenstadt ? Hein ?

(Cet article fait partie de la série « Calendrier de l’Avent », pour retrouver les explications et l’article du Jour 1, c’est par ici)

Oui, je vous vois ouvrir de grands yeux. Avec le retour de mes articles, il y a d’office le retour de mes goûts musicaux discutables. Ca vous manquait, avouez ! Un bon petit Goldman de derrière les fagots. Notez, j’aurais pu vous mettre « Les bêtises » de Sabine Paturel ou « C’est la ouate » de Caroline Loeb, mais ça aurait moyennement servi mon sujet… Goûts discutables, ok, mais la chanson doit servir un chouïa le texte, quand même.

(Aparté : si vous trouvez un sujet à traiter que la chanson « C’est la ouate » illustre, balancez, j’en ai pris pour un mois, là, donc je peux écrire des trucs sur n’importe quoi, hein !)

Et la chanson « Né en 17 à Leidenstadt » de Goldman a cet avantage de servir impeccablement mon propos.

Je me souviens exactement de l’époque où je la chantais. En boucle. Ado, dans ma chambre chez mon père, à Bordeaux; ado, sous mon casque, dans le métro à Bruxelles; ado,… partout.
J’avais 18 ans quand elle est sortie, j’étais (et suis toujours) une passionnée de la Seconde Guerre Mondiale et je voulais vraiment comprendre tous les tenants et aboutissants du conflit. Et surtout comprendre pourquoi on en était arrivé à ce carnage…

Parmi tous les jeunes de mon âge, et même parmi les gens de la génération avant moi (baby-boom, nés à la fin ou juste après la guerre), il était de bon ton d’affirmer haut et fort que, pendant la guerre, c’est clair, on aurait été résistant.
Une évidence.
Une certitude.

Et cela m’effarait.

Je devais être une des rares à avouer que, très sincèrement, je ne savais pas du tout si j’aurais été résistante pendant la guerre. Si j’aurais eu le courage de me battre contre le pouvoir établi, contre des idées puissantes et partagées par une grosse partie de la population, si j’aurais eu la clairvoyance de comprendre qui est l’ennemi, qui fait le mal, dans un monde où le chaos régnait en maître et où les repères usuels avaient volé en éclats.

Je l’avouais très sincèrement : je n’en savais rien. Je ne pouvais vraiment pas répondre à cette question.
Et je ne croyais pas un mot de ceux qui affirmaient, péremptoires, qu’ils l’auraient été, eux, résistants.
Une trop grande certitude à ce niveau m’a toujours semblée suspecte…

Mais voilà, à l’époque, la question qui se posait était purement rhétorique. On se disait tous que, franchement, la montée des extrêmes et des idées brunes était endiguée pour le reste de l’histoire humaine.

Mouarf.
Oui, décidément, une trop grande certitude devrait TOUJOURS sembler suspecte.

Parce que, aujourd’hui, on le constate, rien n’est endigué du tout. La peste brune revient partout, comme un tsunami. Même pas déguisée, même pas en catimini. En grand, en gros, en large et en force.
Pour l’instant, on sauve encore les meubles, mais si en Autriche, on a évité les extrémistes de justesse au pouvoir (et encore, hein, pas de manière éclatante !), les USA, la Hongrie, la Russie, la Turquie, la Pologne… ont déjà cédé face aux coups de béliers des populistes et extrémistes de tous poils.
Je me demandais à l’époque comment des idées puantes comme celles portées par le parti Nazi avaient pu accéder au pouvoir, je ne savais pas qu’un jour me viendrait la plus belle explication qui soit : en vivant la situation.

Ok, l’Histoire, ça va, c’est bon, là, tu peux arrêter ta leçon, j’ai compris ! On arrête de jouer et on remballe tout ! J’AI COMPRIS.

Non, de fait, ce n’est pas un jeu. Et je ne suis pas la seule à assister, éberluée, à ce tsunami qui pourrait se refermer mortellement sur tous.

Et le pire, c’est que, en lisant les (TRES) nombreux commentaires sous les articles de presse, en rappelant l’Histoire à de (TROP) nombreuses personnes, je lis et entends souvent la même réponse : « aujourd’hui, être résistant, c’est voter pour la peste brune, les anti-systèmes ».
Tout comme, à l’époque, les gens pensaient qu’être résistants, c’était être du côté de Pétain et d’Hitler.
Et d’ailleurs on appelait les résistants des terroristes…

Donc, voilà, ça confirme ce que je pensais ado : comment choisir son camp, le camp qui fera avancer le monde sur le chemin de la paix, alors que tous les repères sont brouillés ?
Comment ont fait ceux qui, pendant la guerre, ont choisi le chemin du combat contre l’autorité nazie alors que tout était contre eux ?
Sur quoi se sont-ils basés pour voir clair dans cette situation ?

De ce que j’ai lu et entendu des résistants, ils se sont « simplement » basés sur des valeurs. Des valeurs auxquelles ils croyaient dur comme fer, et sans lesquelles ils savaient qu’ils n’allaient jamais pouvoir continuer à vivre. Et elles devaient être bien ancrées, ces valeurs. Pour qu’ils osent risquer plus que leur vie, la vie de leurs proches, de leurs amis, de leurs enfants.
Des valeurs d’humanisme (non, ce n’est pas un gros mot), d’ouverture, de progrès.
Ils ont tenu bon sous les insultes, la torture, face à la perspective de la mort.

Vous comprenez maintenant pourquoi, ado, je ricanais face aux personnes qui assuraient, bouche en coeur et regard plus qu’assuré, qu’elles auraient été résistantes pendant la guerre ?
Le cours de l’Histoire est toujours plus clair après les événements que pendant !
Et perso, je n’étais ni sûre d’avoir le courage de ces hommes et de ces femmes, ni certaine de posséder leur clairvoyance.

Du coup, voilà, je suis restée et reste encore avec ma question en suspens…

Et si j’étais née en 17, à Leidenstadt…

Aurais-je été meilleur ou pire que ces gens
Si j’avais été Allemand ?
Bercé d’humiliation, de haine et d’ignorance
Nourri de rêves de revanche
Aurais-je été de ces improbables consciences
Larmes au milieu d’un torrent
Et je laisserai Jean-Jacques poursuivre :
Serions-nous de ceux qui résistent ou bien les moutons d’un troupeau
S’il fallait plus que des mots ?
Il continue, même :
Et qu’on nous épargne à toi et moi si possible très longtemps
D’avoir à choisir un camp

Et là, je ne peux m’empêcher de lui répondre…

J’veux pas te faire peur, Jean-Jacques, mais le « si possible très longtemps », c’est encore combien de temps exactement ?

Non, mais juste pour que je sache combien de temps j’ai pour me faire à l’idée que, en fait, l’Histoire va continuer à me faire vivre sa leçon en live. Et que, oui, je vais devoir choisir un camp…

Je vous laisse avec l’accompagnement sonore de cet article (bande de veinards), à demain, prenez soin de vous mais aussi, et surtout, des autres.