Tu seras un homme, mon fils

« Dis, je peux te dire quelque chose que je peux pas te dire, en fait ? »

Je le regarde, surprise.

« Heu… Oui ? »

« Bon, ben, voilà… »

Il déglutit. Il s’arrête. Il fixe les cailloux du chemin sous ses pieds.

« C’est quoi ce que tu ne peux pas me dire ? Et pourquoi tu ne peux pas me le dire ? »

Je me mords les lèvre, faut que j’arrête de l’assassiner de questions sinon il ne parlera jamais.

« C’est un garçon, je sais pas son nom, je sais juste que c’est un garçon et que c’est le chef »

J’écoute.

« Il a dit que deux autres copains et moi, on doit chacun se battre contre 4 garçons de deuxième (CE1 en français de France) et 4 garçons de troisième (CE2). Et que si on ne le fait pas, il nous prend nos trousses. Et que si on le dit à qui que ce soit, ben il le saura et il nous tabassera ! Tu sais, ils sait tout, hein, dès qu’on dit un truc, il le sait. Tout, tout !!! »

Je me retiens de hurler. Enfin, pas vraiment, je hurle un peu quand même.

« Mais c’est pas possible, c’est quoi cette histoire ! Mais tu te rends compte de ce que tu me dis ?! »

Il me regarde effaré, convaincu d’avoir trop parlé. Je ravale ma salive et baisse d’un ton.

« Excuse-moi, mon chéri, ce n’est pas sur toi que je suis fâchée, c’est sur ce garçon, là. Toi, je te trouve courageux et tu n’es pas du tout en faute. »

Il regarde à nouveau les cailloux… « Tu sais, moi, je lui ai rien fait, hein… Il a dit qu’on devait se battre, que c’était comme ça. »

« Et il se plante complètement. Tu as envie de te battre, toi ? »

« NON ! »

et, après un silence… « mais si on ne le fait pas, il pique nos trousses et si on le dit, il nous tabasse »

« Oui mais si tu le fais, tu te fais tabasser quand même »

« Heu, oui, ça c’est vrai aussi »

De deux choses l’une, ou il se tait et il prend des coups, ou il cause et il prend des coups itou… son petit cerveau essaye d’y voir clair…

« J’crois que j’ai bien fait de le dire, alors »

« Je crois aussi. Non seulement tu as bien fait, mais en plus, en le disant, tu ne le laisses pas gagner. Car si tu as peur et que tu lui obéis, c’est lui qui gagne. Ta peur, c’est sa victoire. »

Il fronce les sourcils. Il essaye de suivre mon raisonnement, d’en comprendre le sens un peu abrupt.

« J’veux pas qu’y gagne »

« Alors, tu as bien fait »

« Oui mais tu sais, il va le savoir, il sait tout, même si on dit les choses tout bas, il les sait ! »

Je me dis que si la manipulation est déjà aussi présente chez les petits garçons de 7 ans, qu’est-ce que ce sera à 15 ! Je contre-attaque…

« M’enfin, mais on dirait que tu parles de Superman, là ! Il est Superman, ce type ? »

« Oh non ! »

J’ai gagné, son pire ennemi ne porte pas de caleçon moulant rouge sur un legging bleu. Ce qui rend mon argument crédible.

« Alors, il ne sait pas tout. Demain, on va en parler aux éducatrices à la garderie du matin. Et aussi à ton instit. Tu veux que je lui parle ? »

« Non, je vais le faire. Je lui parlerai, c’est mieux »

Mon argument a convaincu, certes, mais pas au point de me laisser entrer dans l’école pour parler à l’instit…

Le soir, il raconte l’histoire à son père. Elle sort plus facilement, il s’enhardit, confiant, les adultes autour de lui l’écoutent…

Il accepte que l’Homme l’accompagne à l’école et parle aux éducatrices de la garderie du matin.

Je ne pourrai éviter d’appeler l’école en cours de journée pour voir si tout se passe bien.

L’école me rassurera, le problème est pris au sérieux, l’équipe éducative est alertée. Ils surveillent.

Je ne peux m’empêcher de penser à ce gamin qui menace, tabasse, intimide, rackette. A 7 ans.

Au mien auquel on répète que la violence est tout sauf une solution.

Aux adultes qu’ils deviendront.

« Moi, ce que je veux, c’est que mon fils soit un mec bien »

Ben justement, pour qu’un fils devienne un mec bien, il faut d’abord lui avoir montré, appris ce que « bien » veut dire… Il ne le fera pas tout seul.

Et, là, voyez-vous, je pense que ce n’est pas une évidence pour tout le monde…

(merci à Kipling, à qui j’ai emprunté le titre de mon article et dont le texte, affiché dans le hall de la maison pendant toute mon adolescence, prend un tout autre sens aujourd’hui que j’ai un fils)

6 Commentaires

  • Parce que mon gamin n’est pas un combattant de l’extrême vu qu’on lui a toujours dit que se battre n’était pas la solution. Mais j’en sais rien, note… Ceci dit, je préfère ne pas savoir, je t’avoue 😉

  • Mon père m’a tjs dit que se battre c’était mal et qu’il fallait éviter mais que si on me cherchais des noises, fallait pas me laisser faire et cogner si c’était nécessaire. Je n’ai jamais eu à le faire mais j’ai donné le même conseil à mon gamin !

  • Je pense que son père lui a donné le même conseil, oui. Mais, dans ce cas-ci, lui donner comme conseil de se battre aurait été désastreux… Non ?
    Il aurait été embarqué dans une spirale de violence et ça n’aurait rien résolu, au contraire. Ici, ce n’est pas cogner pour se défendre dont il s’agit, c’est cogner pour obéir à un petit chef… Pas pareil.

  • d’accord, j’aurais fait pareil. Se battre sous la menace non mais pour se défendre oui.
    Punaise c’est vraiment ma hantise ses jeux violents que s’inventent les enfants à l’école, ça va vraiment mal… et pas qu’en France…

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