45 ans, des mots et des sensations

Bon, installez-vous bien.
Prenez un verre de vin (quelle que soit l’heure, si, si, j’insiste).

Celles et ceux qui connaissent les livres « Le sel de la vie » et « Au gré des jours » de Françoise Héritier, vous allez vite comprendre le format de ce texte-bilan de cette année.
Pour ceux qui ne connaissent pas, vous avez raté quelque chose. Foncez les acheter (mais après avoir lu ce texte, évidemment !), vous ne le regretterez pas.

45 ans…
Et juste cette dernière année…

S’étirer dans des draps blancs immaculés qui sentent bon, savoir qu’on ne doit pas les quitter et s’y enfoncer au plus profond avec des frissons de joie. Regarder les bourgeons de l’arbre d’en face éclore en se réchauffant les mains à sa tasse de café. Allumer la radio et se mettre à danser, nue, dans la salle de bain. Prendre une gorgée de vin rouge et sentir sa bouche s’emplir d’odeurs et goûts. Ouvrir les volets et voir au loin la mer qui scintille et l’eau bleue de la piscine à ses pieds. Se coller à son amie qui dit « Viens, on prend un selfie ». Embrasser la joue de son fils, se dire qu’il sent encore bon le bébé même s’il n’en est plus un. Se concentrer pour ne pas rater son arrivée en haut du télésiège. Se retenir de hurler « je ne suis pas une fourmi ! » au sortir de la gare de Shibuya. Essayer d’influencer le cours de sa balle en se concentrant très fort pendant une partie de mini-golf. Ouvrir une bouteille de vin, se servir un verre et adorer le son que cela fait. Découvrir avec effarement que ce qui pourrit sa vie depuis l’enfance est un syndrome, porte un nom et qu’on n’est pas la seule à en souffrir. En être heureuse car on n’est plus seule. En être déçue car on n’est pas unique. Se coucher entre des draps en satin doux avec un manga. Choisir son café comme si sa vie en dépendait. Avoir le souffle coupé devant la beauté de Tokyo la nuit. Sentir le sable chaud couler entre ses orteils. Arriver dans la baie de Port-Cros et se dire que prendre une photo ne servirait à rien, elle ne capturerait pas la moitié de la beauté de l’endroit. Passer sa nuit à raconter sa vie à quelqu’un. Etre debout, un verre de Champagne en main, et se demander ce qui rend ce moment parfait : ce qu’on boit ou revoir enfin la personne face à laquelle on est après 15 ans sans s’être vus. Rire à s’en étouffer. Se réveiller en sursaut d’un cauchemar et se blottir contre le corps de l’être aimé, rassurée. Se demander comment on survit à son enfant. Paniquer car on a oublié de faire quelque chose pour le boulot et puis réaliser, avec soulagement, que non. Se reprendre un verre de vin. Entendre son fils dire « je t’aime » tous les matins, avoir conscience qu’il faut le savourer. Trouver que Liège, c’est pas si mal, pour finir. Oser envoyer un mail à quelqu’un qu’on n’a plus vu depuis 20 ans. Se réveiller un peu-beaucoup perturbée d’un rêve érotique. Revoir des photos de soi à 27 ans, se dire qu’on était belle et qu’on ne s’en rendait pas compte. Tirer 5 fois les cartes du tarot d’affilée car on n’est pas contente de la prédiction. Se reverser un verre de vin. Sentir qu’une main s’empare de la vôtre. Etre impressionnée par la taille du Boudha du temple Todai-Ji. Passer ses vacances à photographier des palmiers. Comprendre qu’on peut vous en vouloir même si on n’a rien fait, ne rien faire peut blesser. Découvrir que l’enfant qu’on a mis au monde vous ressemble plus qu’on ne le pensait. Trouver que Rome sent bon, la nuit. Reprendre un verre de vin. Mettre la musique à fond dans la voiture et chanter. Trouver que Bormes les mimosas sent bon, la nuit et le jour aussi. Avoir faim mais ne rien trouver à son goût dans les armoires et le frigo, même en cherchant frénétiquement. Se faire couillonner par un marchand de tapis à Marrakech. S’excuser auprès d’une araignée de lui avoir fait perdre une patte en essayant de la sauver. Se gaver de bagels. Voir le soleil se lever sur un Ksar en se disant qu’on a bien de suivre l’idée de son beau-frère. Faire du shopping entre copines. Sortir d’un massage en se disant que ça doit faire cet effet-là d’être droguée. Vouloir battre son record de longueurs. Se rappeler qu’on pourrait marcher des jours entiers dans les montagnes. Scruter son corps sous toutes les coutures dans le miroir pour traquer les effets du temps. S’arracher les cheveux blancs et réaliser que, sous peu, on n’y arrivera plus. Faire des photos de Champagne, tout le temps, partout. Se verser un verre de vin. Jouer à « Cards against humanity » avec ses collègues. Réaliser qu’on peut embrasser son fils un soir et l’enterrer 4 jours plus tard. S’entendre dire qu’on est lumineuse. Faire une boulimie de pièces de théâtre. Etre éblouie par le coucher de soleil dans le port de Side. Réécouter 157 fois la même chanson en boucle. Trouver que son amoureux est beau. Se dire qu’il faudra absolument revenir manger au Katz Orange à Berlin. Hurler de rire en voyant un daim mordre les fesses de son homme. Voir son fils jouer dans la piscine avec sa meilleure amie dans l’innocence de l’enfance qui s’éloigne. Fêter ses 15 ans de mariage face a la Tour Eiffel qui clignote, même si c’est cliché. Se dire qu’il faut repartir en vacances avec sa meilleure amie. Assortir ses ongles à son chemisier. Aimer. Regarder les villages japonais défiler par la fenêtre du Shinkansen. Capturer la précieuse image de son amie dansant sur la plage dans le soleil couchant. Se reprendre un verre de vin, rouge. Trouver que Yves Saint-Laurent faisait des robes somptueuses. Etre fière comme Artaban en voyant le premier court-métrage de son fils alors qu’on est soi-même infichue de comprendre comment on utilise une caméra. Faire la même photo avec son fils au Hard Rock Café de Rome pile 10 ans après. Regarder la neige tomber en buvant un café très chaud. Espérer que l’odeur de neuf de la voiture dure longtemps, longtemps. Partir en vacances entre potes en écoutant tout Guillaume Meurice dans la voiture. Entendre son fils, pourtant ado, murmurer « t’es la plus cool maman du monde » car on a dit oui pour faire toutes les attractions à sensation de Disney. Lever les yeux de son ordinateur et découvrir un ciel bleu, bleu, bleu. Trouver que No Jive de De-Phazz est une très bonne chanson pour faire l’amour.

Se resservir un verre de vin, vider la bouteille et se dire qu’on sera raisonnable… demain !

Marie, le 28 avril 2018