16 ans, tu me scotches

« P’paaaaa, m’maaaaaan, vous relisez mon CV ? »

Oui, ça y est. On en est là. A relire ton CV.
L’Homme et moi sommes un peu assommés par l’idée.
Notre bébé tout-rose-qui-n’aime-pas-les-siestes rédige son CV.

On va t’avouer, on a eu besoin d’un verre de vin.

« Purée, il est bien son CV ! A son âge, je n’aurais pas pu mettre autant de trucs, moi ! »
L’Homme se marre.
Moi aussi.
Et ton père d’imaginer son CV à 16 ans « se marre avec ses potes et joue bien le guerrier dans Donjons & Dragons. ».
Il aurait certainement pu ajouter « Gère bien les transports en communs bruxellois », quoique ses potes auraient eu à redire sur le sujet (Renaud, Arnaud, Eric, si vous me lisez…).
J’ai aussitôt envisagé le mien, de CV, à 16 ans : « se fait harceler à l’école, tient un journal intime quotidien, a abandonné le théâtre et veut abandonner le piano. » Ha, et j’oublie le principal : »rate son année et est déclarée dépressive par son médecin ».
Tu parles d’un CV vendeur, là ! La toute, toute grande classe, hein ! Heureusement, je ne cherchais pas de stage, moi, pas certaine que j’aurais trouvé quelque chose…

« Je mets quoi dedans ? »
« Tout, tu mets tout, tout ce que tu fais, ce que tu connais, ce que tu aimes, tout. A ton âge, l’expérience, c’est ça. »

Alors, tu as tout mis. J’ai même dû te rappeler quelques trucs au passage. Le ski, le snowboard, le surf, le hockey, le catamaran, le tennis… Les trois applications codées, la passion de l’informatique, l’anglais, le montage vidéo, la réalisation, la photo, la musique que tu composes, la batterie, la diction, la déclamation…
Et je sais que j’ai même oublié des trucs, là.

D’aucuns m’ont souvent reproché de te pousser trop, d’exiger trop de toi. Ton père et moi savons pourtant pertinemment combien, au contraire, on te retient, on te met des limites. Tu es comme un paquet d’autres jeunes êtres humains : avide de connaissances et de rencontres. Non, les Humains ne rêvent pas de rester assis à voir leur vie défiler. Ca, c’est une bonne grosse fake news toute pourrie.
Alors, en mettant des limites, certes, en discutant, certes aussi, on a décidé, l’Homme et moi, de te laisser filer vers le Monde et la Connaissance. A ton rythme, mais avec quelques limitations de vitesse quand même sur l’autoroute que tu prends souvent à Mach 3 (ce qui n’est pas trop permis à la base, on rappelle).

Au cours d’un débat parents-ados il y a quelques jours (qui faisait suite à la pièce « Le Champs de bataille » qui t’a bien, bien fait marrer, donc je conseille à tous les ados d’embarquer leurs vieux parents pour la voir, toutes les infos sont ici), un papa déclarait « On veut que nos enfants soient mieux que nous ».
Ca nous a fait sursauter l’Homme et moi.
Ca veut dire quoi MIEUX QUE NOUS ?
Je ne veux pas que tu sois mieux que moi.
C’est un jugement de valeur qui n’a aucun sens vu qu’il est d’une absolue subjectivité.
Ce que je considère, moi, « mieux » ne recouvre pas forcément la même réalité pour toi.
Non, cela n’a pas de sens.

Alors je vais expliciter ce que, je pense, ce papa voulait dire :
« Je veux que mes enfants soient plus heureux, plus accomplis, plus épanouis que moi »
Voilà qui est déjà plus clair.

Ma mère, ta grand-mère, disait déjà la même chose. Elle voulait une vie meilleure pour ton parrain et moi. Et elle a clairement réussi sa mission (maman, si tu me lis…).
Du coup, la barre est haute pour ton père et moi.
Faut qu’on y arrive aussi.
Argh.

Mais en lisant ton CV, en vidant la bouteille de vin (on a hésité à en ouvrir une deuxième, là), on s’est dit qu’on s’en sortait pas trop mal, pour le coup.
Et notre euphorie, je te le jure, était clairement plus due au contenu de ton CV qu’aux effluves d’alcool.
(Ce qui est bon signe, tu nous l’accorderas)

Dans l’adolescent que tu es se dessine l’homme que tu vas devenir.
Le petit de l’Homme est chaque jour plus homme que petit (au grand dam de ce blog, la vache, le petit de l’Homme était quand même le héros du truc !). Et cet homme s’avère curieux de tout et de tous. Instruit, sérieux, qui se donne les moyens d’atteindre ses buts.

« Bon, les parents, la classe a voté, on va participer à l’aide aux migrants. Et je veux faire partie de ce projet à 300%. Mais par contre, on a besoin de l’aide d’adultes, vous en êtes ? »

On a dit oui.
Pour finir, le papa qui était intervenu avait peut-être raison, on peut souhaiter que ses enfants soient mieux que soi, tout simplement en fonction de ses propres valeurs.
Et à ta curiosité, on va ajouter ton humanité…

Merci de devenir ce meilleur, mon Lou.

Marie, le 11 décembre 2019.

La photo qui illustre cet article est celle de Louni au sommet du Mont Rausu que nous avons escaladé cet été, sur l’île d’Hokkaido, au Japon.
La chanson qui m’a accompagnée lors de la rédaction de cet article est celle-ci (et elle est très parlante, pour le coup !) :